Mike Tyson (1966- )

© © Nicolas Thiebault-Pikor

On en a écrit des tartines sur toi. Du joli. Une bête, voilà ce que tu étais dans leurs papiers. Un violeur. Un violent. Un affreux jojo.

Tu l’as un peu cherché. La ligne blanche, tu la franchissais toutes les nuits avec un Benjamin Franklin bien roulé. Les avoines distribuées en discothèque pour un oui ou pour un non, c’était pas une invention non plus. Et tes naufrages, à l’aube, dans les bras des putes de Harlem ?

Mais, avant, il y avait eu les pigeons et il y avait eu Cus.

À l’époque, il y avait ni barbus ni food truck dans les rues de Brooklyn, et la loi de la jungle s’appliquait même aux gamins. Ça se bousculait pour te chicoter sur le chemin de la classe. Ce jour-là, ils avaient poussé le bouchon un peu trop loin. L’un de tes pigeons y était passé. Les poings serrés, les larmes aux yeux, tu avais fixé l’assassin. Puis balancé un crochet à la tempe. Ta première victoire par KO. Les rues étaient décidément truffées de fils de pute grand format. Dans ta tête, c’était déjà clair: ça n’allait pas être de la tarte.

Il y en a eu des dérangés qui ont défilé sur les rings. Contrairement à l’idée reçue, ils n’y ont pas fait long feu. La violence aveugle s’accommode mal de la science du combat. Question de sang-froid. Sauf que toi, tu avais un spécialiste dans ton coin. Un drôle de Cus.

Un vieux monsieur, Cus D’Amato, quand il t’a accueilli à Catskill. Tu avais douze ou treize ans, lui plus de soixante-dix. Il en avait vu d’autres. Un expert en cas sociaux. Un type qui savait causer aux écorchés, aux revanchards, aux boules de nerfs. Comme eux, il avait connu la rue. Entre petites frappes, on se comprend.

Il voulait faire de toi le plus jeune champion de l’histoire des lourds. Pour ça, il t’a injecté le plein de confiance. Il disait que tu boxais bien. Que tu étais le meilleur, le plus beau. Qu’ils n’allaient pas en revenir à Vegas quand tu débarquerais pour retourner le MGM Grand.

Vous en avez passé des nuits à voir et à revoir les combats des anciens. Tu les connaissais sur le bout des doigts. Chaque esquive, chaque feinte, chaque attaque. Il t’a appris à vivre avec la peur. Elle est toujours là, la peur. Mais Cus, il t’en a fait une alliée. Il t’a appris à jouer avec elle. À la faire monter sûrement, à bonne température, juste avant le premier coup de cloche. La libération.

Il est parti trop tôt, Cus. Une pneumonie. Lui aussi, il t’a pigeonné. Tu as dérivé sur la voie qu’il avait tracée. Champion du monde à vingt ans. Mais quelque chose s’était brisé à l’intérieur. Comme s’il n’y avait plus rien à espérer. Juste brûler la vie par les deux bouts. Et espérer que les KO continuent de tomber. Comme si tout t’était dû. Comme s’il ne pouvait pas t’en arriver une mauvaise…

11 février 1990, Tokyo.

Douglas n’était pas manchot. Et bon encaisseur avec ça. Tu n’étais pas dans ton assiette. Ça avait défilé dans ta chambre d’hôtel. Mais pour survivre à l’uppercut que tu lui as planté au huitième, il avait dû sacrément bien se préparer. Deux rounds plus tard, il t’a balancé une droite de derrière les fagots, puis une autre, puis une gauche. Et ça a été le trou noir. Puis la lumière, aveuglante. Tu as cherché ton protège-dents au lieu de surveiller le compte. Comme un bleu.

Et après ?

Après, le monde a continué de tourner. Le même cycle infernal. Tomber et se relever. Les mêmes remords, les mêmes promesses, les mêmes trahisons. Encore et encore.

On dirait que ça va mieux, maintenant. On dirait que tu as trouvé une issue de secours. Sur scène, tous les soirs, tu racontes ta drôle de vie aux bourgeois de Broadway. C’est plus sage d’expulser tout ça.

Aujourd’hui, Mike, tu es comme un pigeon voyageur. Avec un message à délivrer. Ton petit message à toi, du genre modeste.

Le message, camarades, c’est que c’est pas de la tarte.

Chaque semaine, l’écrivain Nicolas Zeisler (son livre Beauté du geste est paru aux éditions du Tripode) tire le portrait en un round d’un boxeur de légende.

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