Mieux vaut en rire

Pierre Maurel redonne vie à Michel, anti-héros et héraut des intellos précaires. Manière tragi-comique de critiquer la société et d’en dénoncer les maux.

Michel, reporter radio indépendant, n’a pas la vie facile. Déjà, il a pris plus de dix ans dans la figure et le bide depuis ses premières apparitions ( Michel, en 2006, déjà paru chez les éditeurs bruxellois de L’Employé du Moi), mais les temps (modernes) sont devenus très durs: non seulement il ne peut plus se soigner parce qu’il n’est plus en mesure de se payer de couverture maladie, mais en plus, son reportage « explosif » sur l’exploitation des sans-papiers dans les entreprises de nettoyage ne trouvera pas de diffuseur sans témoignages ni infiltration sur place… Michel est donc parti pour près de 80 planches de galère, entre un ami d’ami vétérinaire qui veut bien lui soigner cette mauvaise dent, la bonne volonté et le poulet maté de Sekou et de ses copains, et quelques interims nécessaires mais déprimants. Michel, comme Pierre Maurel, vit décidément très mal les aléas du monde moderne, entre le nouveau modèle Macron, quelques révoltes en mousse et les merveilles technologiques de son époque, qui de crowdfunding en rendez-vous Tinder, lui pourrissent vraiment la vie.

Mieux vaut en rire

Tragique mais comique

Le Toulousain Pierre Maurel, longtemps basé à Bruxelles, a toujours réservé à L’Employé du Moi ses livres les plus « politiques », peut-être aussi les plus personnels, à savoir Michel, 3 déclinaisons et Blackbird, autant de récits où la précarité et les injustices de nos sociétés contemporaines sont à raison montrées du doigt. Un engagement que l’auteur n’a jamais renié malgré son arrivée dans de grandes maisons classiques avec des fictions moins subversives (il a depuis Blackbird publié deux albums chez Gallimard, et deux autres chez Casterman), que du contraire: le voilà de retour à ses sources, entre DIY et récit engagé; comme souvent d’abord décliné en fanzine (dans le cas présent dans l’excellent Bento), ce nouveau Michel creuse à nouveau sans concession les maux de la société, mais son auteur y ajoute cette fois de l’humour, beaucoup, ce qui n’enlève cependant rien à la charge. On se surprend ainsi à rire de et avec cet inadapté social de Michel, mais on ne manque rien, non plus, de ses problèmes ou de ceux de ses amis. Un nouveau ton tragi-comique (heureusement que tout ça est très drôle, sinon on en pleurerait) qui va comme un gant à cet intello précaire toujours indigné, mais qui sied aussi parfaitement au trait de Pierre Maurel, plus rond, vif et détaillé que jamais. Réalisées en noir et blanc, ses planches étonnent par ce mélange de fluidité et de densité qui pourraient bien devenir sa marque, en plus d’une conscience sociale et d’un amour profond des récits de fiction, deux qualités qui commencent à manquer en BD. Vivement la suite.

Michel et les Temps modernes

de Pierre Maurel, Éditions L’Employé du Moi, 80 pages.

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