Michael Kiwanuka

"Ce changement dans la narration équivaut peut-être au besoin de me reconquérir moi-même..." © PH.CORNET

Après le succès de Love & Hate, Michael Kiwanuka s’est payé une grosse gueule de bois métaphysique, Qui, avec l’afrofuturisme, nourrit le nouvel et talentueux album intitulé de son nom.

Sur la table devant nous, Michael Kiwanuka a déposé un nécessaire à se brosser les dents et à se rafraîchir la mémoire, un Canon vintage argentique.  » Je me suis rendu compte que je n’avais pratiquement aucune photo de l’enregistrement de mes deux premiers albums. Sauf des trucs moches sur l’iPhone que tu finis de toute façon par effacer pour faire de la place. Là, je suis parfaitement content d’acheter des films sur eBay et d’envoyer le développement online. Et puis, je scanne les négatifs », sourit-il, pas forcément conscient du parallèle entre le processus de la photo et celui de son troisième album de soul, tout aussi vintage, dont se sont saisi deux producteurs de l’ère digitale, Danger Mouse et Inflo. Le premier est un Américain, collectionneur de disques platines avec Gorillaz, Gnarls Barkley, The Black Keys ou les Red Hot. Le second s’affiche londonien, plus underground mais pareillement aventurier. Avec cette équipe, Kiwanuka a conçu un album ( lire la critique page 23) à L.A., New York et Londres, qui débute par un morceau de fusible qui lâche, You Ain’t the Problem. Avant de voyager dans un maelstrom de titres plutôt spleen, accréditant les comparaisons flatteuses -avec Curtis Mayfield, Gil Scott-Heron et Otis Redding- collées aux fesses de Michael depuis son premier disque, un EP paru en avril 2011.

L’endroit de l’interview, un bocal au milieu d’un patio de la RTBF, est peu propice aux confidences. Encore moins à l’intimité. C’est pourtant bien de cela qu’il s’agit, du coeur de la matière émotive qui construit l’envie de chansons. Et passe d’abord par la pochette du disque où Kiwanuka, 32 ans, apparaît en conquistador, collier XXL en or, manteau d’hermine, barbe et cheveux royalement taillés. La peinture est l’oeuvre d’un jeune artiste d’Atlanta, Markeidric Walker.  » Je pourrais être un prince ou un roilà-dessus. J’aime ce côté d’oeuvre picturale que l’on trouve aussi en pochette du Bitches Brew de Miles Davis ou même du My Beautiful Dark Twisted Fantasy de Kanye West. C’est lié au sentiment de l’afrofuturisme, tendance surtout américaine, où les Noirs réécrivent leur version de l’Histoire ou s’emparent des sciences pour réinventer leur passé. Ce changement dans la narration équivaut peut-être au besoin de me reconquérir moi-même…Walker a une formation classique, mais il peint d’abord ce qui se passe aujourd’hui, ce qui est également le principe de ma musique. »

Kinks Kong

Après la sortie de son second album, Love & Hate, à l’été 2016, Michael s’est initialement délecté de son succès critique et commercial, le disque prenant la première place des charts britanniques. Avec aussi une large utilisation de ses musiques dans les séries de Netflix et d’autres (notamment dans l’excellente When They See Us) . Mais le doute, inséré dans plusieurs chansons de l’opus -par exemple le très explicite Black Man in a White World-, va distiller une confusion chez son auteur. Une sorte de « moi face au monde » où les sentiments d’autojustification de sa propre existence -et donc la notion de race- affrontent une planète zappant impitoyablement modes, émotions, guerres, crises, migrations. Le tout dans un climat météorologique soumis aux multiples interprétations anxiogènes. Kiwanuka, secoué par le large écho fait à Love & Hate, le vit comme une potentielle apocalypse personnelle. Une outrance à ses propres valeurs.  » Dans ce monde où règnent aussi la peur, la maladie mentale, j’ai dû faire un travail de reconstruction sur les raisons de mes doutes. Voir comment je pouvais trouver une certaine fierté, sans forcément me comparer aux gens hyperdoués, comme Otis Redding, qui m’ont précédé dans ce business de la musique. Arrêter de me mettre autant de pression, arrêter d’imaginer que les gens pensent des choses parfois terribles à mon propos. Ou ruminer d’éventuelles erreurs que j’avais pu faire en studio. Parce que ça a un résultat immédiat qui est l’impossibilité de vivre le moment présent. » Comme on le sait, pas de présent non plus sans digestion du passé. Et pour le gamin né à Muswell Hill, au nord de Londres, de parents ougandais fuyant le régime fou d’Idi Amin Dada à la fin des années 70, son quartier d’enfance porte des couleurs plutôt blanches. Dans une ville pourtant plurielle. « Le groupe le plus célèbre venant de Muswell Hill, ce sont les Kinks! Et j’ai d’ailleurs été à la même école que les frères Davies, qui entre-temps a changé de nom. Et j’ai mixé à leur Konk Studio, à quelques rues de là où j’habitais. Je suis retourné visiter l’Ouganda à l’âge de cinq ans, et deux fois à l’adolescence, mais là, ça me manque. Ce que le nouveau disque veut faire, c’est aussi saisir la chance d’être (il hésite)… heureux, d’accepter l’idée d’être unique, d’inventer un modèle qui ne soit ni celui de l’Afrique, ni complètement celui du Royaume-Uni. Ce disque est une célébration de la différence, plutôt qu’une envie de me fondre dans la masse. Et puis, le simple fait d’écrire s’avère thérapeutique. » Paradoxe, Kiwanuka a quitté Londres il y a un an pour aller vivre en couple à Southampton, ville portuaire de 250 000 habitants sur la côte sud de la Grande-Bretagne.  » Trouver un peu l’espace qui n’existe pas à Londres -sauf à être millionnaire comme Danger Mouse- et donc avoir la possibilité de construire un studio, d’avoir un jardin, d’habiter pas très loin de la mer. ça veut aussi dire pouvoir créer davantage. » Même si Southampton est, selon le terme de son nouveau résident, « plutôt une ville blanche ». « Mais comme je l’ai dit, j’ai grandi à Muswell Hill, donc on peut dire que je suis habitué à ça. » Kiwanuka sourit mais décline quand je lui propose de le prendre en photo avec son Canon.  » Faut pas gâcher la pellicule », répond-il sereinement.

En concert le 24/11 à l’Ancienne Belgique, Bruxelles (complet).

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