APRÈS QUATRE ANS D’INTERRUPTION, LA SAGA JAMES BOND REVIENT AVEC UN NOUVEL ÉPISODE RÉALISÉ PAR SAM MENDES. VISITE EXCLUSIVE SUR LES PLATEAUX DE PINEWOOD, OÙ LE RÉALISATEUR NOUS A PROMIS QU’IL ALLAIT POUSSER JAMES BOND DANS SES ULTIMES RETRANCHEMENTS.

Quelques secondes au Monténégro, le c£ur de James Bond s’était déjà arrêté. Le système de télédiagnostic installé dans son Aston Martin l’avait alors informé, via le MI6, qu’il venait d’être empoisonné à la digitaline. Vesper Lynd le ramena à la vie en activant, in extremis, le défibrillateur embarqué, mais James ne put lui rendre la pareille. Elle disparut quelques semaines plus tard, au fond de la lagune de Venise, prisonnière d’un palais englouti. Inconsolable comme Orphée depuis cet épisode mémorable de Casino Royale, James Bond continue d’arpenter le chemin tortueux de l’un des reboots les plus réussis au cinéma.

La mort est la seule partenaire fidèle de Bond. Et il semble que Sam Mendes ait décidé d’organiser des retrouvailles. Si ce n’est pour l’agent, ce sera pour les membres du MI6, qui devrait connaître la pire attaque de son existence. On dit que M (Judi Dench) est en danger, que son passé va ressurgir… Or, l’équipe croisée sur le tournage de Skyfall partage avec la célèbre agence gouvernementale une résistance remarquable à la torture: elle ne livrera guère plus de détails sur l’intrigue, malgré l’insistance des quelques journalistes présents.

Quittant Londres, nous traversons la campagne anglaise pour nous rendre aux mythiques studios de Pinewood, un vaste assemblage de bâtiments fonctionnels de tailles variées, bien éloignés de l’image glamour des films qui y ont été tournés. Le ciel est bleu et froid, et le jour commence à décliner. Des hommes fluorescents surgissent de toute part, double-checkent notre identité, relèvent la plaque du taxi et nous guident enfin vers les bureaux de production. Sur notre badge:  » Guest Pass 9 – Press – Bond 23, Ltd.  »

Avant de nous installer dans un petit salon, nous avons juste le temps d’apercevoir deux immenses têtes de dragon et des couples en tenue de soirée se dirigeant vers les monstres illuminés de l’intérieur.  » Aujourd’hui, ça va, nous n’avons que 50 figurants à habiller« , nous explique Jany Temime, la chef costumière. Pas de quoi affoler celle qui avait déjà vêtu tout Poudlard pour les six derniers épisodes de la saga Harry Potter. Elle a collaboré avec Tom Ford pour conférer à Daniel Craig une allure à la fois 60’s et contemporaine.  » Je voulais un costume qui laisse deviner les lignes de son corps, car il a un corps fantastique. Je sais que je ne pouvais pas changer Bond, qui est une légende, mais je devais le mettre au goût du jour, lui donner l’allure qu’un public attend en 2012. » Quant aux James Bond girls,  » elles peuvent courir, se battre, tuer, aimer… mais pas cuisiner (rires) .C’est une projection de la féminité éloignée de la réalité. »

Dernier métro

La production s’est déjà promenée dans les Highlands d’Écosse avant de revenir à Londres, puis à Pinewood. L’action de Skyfall se déroulera également à Shanghai, à Macao et en Turquie ( avec les aléas que l’on sait, un cascadeur a notamment perdu le contrôle de sa moto mi-avril, détruisant en partie un monument stambouliote vieux de 330 ans!, ndlr). En avril, à Pinewood, commencera le tournage d’une scène prometteuse: dans l’immense 007 Stage, cathédrale industrielle éclairée de néons, c’est une station de métro entière qui commence à être installée. On y perçoit déjà les voûtes victoriennes de briques blanchies à la chaux, tandis qu’un plan précise l’emplacement des wagons, en vue d’y tourner une scène de crash. Le ronronnement tranquille de la ventilation est soudainement couvert par d’impressionnantes détonations. Celles-ci se font plus fortes quand nous revenons vers les bureaux (en passant devant un intimidant Stanley Kubrick Building et quelques bus à impériale typiques transformés en loges de maquillage). On nous informe qu’il s’agit des ultimes réglages pyrotechniques pour la scène du soir, à laquelle nous allons bientôt assister: l’arrivée de James Bond dans un casino flottant du port de Macao.

Le plan parfait

Dans une pièce emplie de décors, de plans et de maquettes, le directeur artistique, Marc Homes, nous explique par quel miracle Macao se trouve désormais à une heure de Londres.  » Nous avons fait des repérages à Shanghai pour trouver des lieux correspondant à nos souhaits. Nous sommes tombés sur un temple que nous avons photographié puis « recontextualisé » avec Photoshop. » De plan en plan, on observe effectivement les transformations successives, bâtiments dupliqués, assemblés en symétrie, jusqu’à obtenir l’image parfaite. Une projection si proche et si loin de la réalité, qui explique qu’on prenne la peine de reconstituer de pareils décors dans le bassin d’un studio.

D’une voix grave qui rappelle celle d’Alan Rickman, Dennis Gassner, le production designer (grand manitou en charge de tous les aspects visuels du film), prend le relais et justifie ce travail d’idéalisation du réel:  » L’idée était que l’environnement soit en phase avec les émotions des personnages. Quand nous avons commencé les repérages, nous cherchions une ville qui avait cette capacité de transformer les gens qui la traversaient. Shanghai avait cette aptitude. » Face à lui, des images de James Bond dans l’un des décors de Shanghai, au milieu de parois de verre traversées de lumières colorées.  » Cet autre décor multiplie l’image de Bond; le tour de force consistait à créer un environnement reflétant à la fois son état d’esprit et ce qu’il voit. Tout ce que nous faisons a pour but de faire avancer l’histoire. Et l’idée de cette image était celle d’un personnage revenant d’entre les morts. » Encore elle.

Quantum of Solace était un film de revanche qui avait la difficile mission de faire le deuil de l’exceptionnel Casino Royale. Skyfall s’inscrit dans une nouvelle séquence. Si Sam Mendes promet qu’on n’aura jamais poussé aussi loin l’agent secret dans ses limites, Michael G. Wilson (le coproducteur de la saga depuis 1979) affirme, lui, qu’il n’avait jamais eu un aussi beau casting.  » C’est grâce à la présence de Sam Mendes, explique-t-il. Tout le monde voulait travailler avec lui. »  » Daniel Craig est le premier à avoir eu l’idée qu’il réalise un James Bond« , précise Barbara Broccoli, l’autre productrice du film, demi-s£ur de Michael G. Wilson et fille du célèbre Albert R. Broccoli.  » Ils s’étaient très bien entendus sur le tournage des Sentiers de la perdition , et lorsqu’il le lui a proposé, Sam a accepté, à notre grande surprise. »

Entre-temps, James Bond aura une nouvelle fois failli disparaître, à cause de la moribonde MGM dont les déboires financiers ont paralysé la mise en chantier de cet épisode 23 pendant des mois.  » La MGM a vécu de sales moments, se souvient Michael G. Wilson. Nous avions continué à nous mettre en condition, et étions prêts à commencer dès que les problèmes seraient résolus. »  » Nous voulions vraiment un film pour l’anniversaire des 50 ans de la franchise ( Dr. No, le premier James Bond au cinéma, date de 1962, ndlr), reprend Barbara Broccoli. C’est vraiment la chose qui nous a le plus perturbés. Ça aurait été terrible de ne pas pouvoir le faire, les fans l’attendaient. »

Veillée funèbre

Pendant tout ce temps, les détonations ont continué de ponctuer le récit de nos hôtes. Après chaque coup de tonnerre, le son n’en finit plus de mourir au-dessus des arbres maigres de la forêt entourant les studios. En regagnant le bassin géant où se tourne la scène, les repères géographiques s’estompent progressivement. Sous nos pieds, la terre humide nous rappelle où nous sommes. Mais dès que nous levons les yeux, c’est un autre lieu qui se dessine: la reproduction hallucinante de ce casino, morceau d’architecture rougeoyante transposé au milieu de nulle part. Dans le ciel, les gerbes du feu d’artifice se fracassent contre l’air épais. Bond vient de quitter sa chambre d’hôtel pour glaner quelques indices, mettant le cap sur le casino qu’il rejoint en bateau. Debout dans une embarcation motorisée, Daniel Craig se tient droit, stoïque dans son smoking impeccable. Sa main gauche dans la poche constitue la seule exception à la symétrie de sa posture. Trois caméras saisissent cette lente traversée du Styx dans une obscurité presque totale (le clap doit être éclairé à la lampe torche).

La gravité apparente de la scène se démarque des standards du film d’action de base, Sam Mendes semblant charger chaque moment d’une profondeur mystérieuse. En glissant sur ces eaux noires trouées de lampions dorés, James Bond franchit les deux têtes de dragon géantes translucides. L’homme réagit à peine aux explosions du feu d’artifice, tandis que le casino qui se dresse devant lui sur l’autre rive prend définitivement des allures de royaume des morts.

TEXTE EMMANUEL CIRODDE, À PINEWOOD

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