PAS DE DROGUE, PAS D’ALCOOL… SOUTENU PAR JOHN DWYER ET AUJOURD’HUI GONER RECORDS, THE BLIND SHAKE, TRIO MUSCLÉ DE MINNEAPOLIS BIENTÔT DE PASSAGE AU MAGASIN 4, A L’ESPRIT SAIN DANS UN CORPS SAIN. ZOOM SUR LES ROCKEURS QUI CARBURENT À L’EAU PLATE.

Mars 2013. Austin. Texas. La grosse beuverie South By Southwest s’est terminée la veille dans les effluves éthyliques qui caractérisent la gigantesque foire au riff et au beat. Il y a quelque chose d’amusant à rencontrer Mike Blaha des teigneux et redoutables Blind Shake sur la terrasse du Beerland le soir de sa traditionnelle Hangover Party. Le bonhomme, vif, alerte et musclé, ne boit pas une goutte d’alcool. « J’ai rencontré Dave à l’adolescence et Jim à la naissance, raconte-t-il avec humour en guise de préambule. J’ai l’air plus vieux, la faute aux années de football et aux nez cassés sans doute, mais mon frangin a quinze mois de plus que moi. Si The Blind Shake est notre premier vrai groupe, on fait de la musique ensemble depuis 2001. On a d’ailleurs écrit notre première chanson le 11 septembre. Une pure coïncidence. »

Mike, 37 ans, physique d’athlète et corps de mec qu’on n’emmerde pas, est un ancien footballeur américain qui s’est lancé tardivement dans l’industrie musicale. Dans la « vraie vie », il est enseignant suppléant et entraîneur (son frère travaille dans un coffee shop, Dave Roper est… barman). « J’ai grandi avec les guitares du Delta Blues tandis que mon frangin, ma plus grande source d’influence, baignait dans le punk grâce à son amour du skateboard. Jim était plutôt prometteur. Moi, j’ai entamé des études supérieures via le sport, et joué dans une Ligue où tu peux envisager te lier à de modestes équipes professionnelles. Dave allait commencer une carrière de criminologue spécialisé en biochimie puis à la dernière minute, il a décidé qu’il préférait jouer dans un groupe de rock. »

S’ils ont collaboré plusieurs fois avec la légende psyché garage Michael Yonkers, ont été récemment défendus par le label Castle Face de John Dwyer (Thee Oh Sees) et s’apprêtent à sortir un album de surf instrumental avec John Reis de Rocket From The Crypt, le premier 45 Tours de The Blind Shake date de 2004 et son premier album, Rizzograph, de 2005. « Nos chansons allaient plus vite. Nous faisions dans le post-punk. Nous avons longtemps joué local avant d’essayer de voyager. Nous avons donné tellement de concerts dans de drôles d’endroits. Nous n’avions pas le carnet d’adresses et le répertoire de téléphones qu’il fallait… Aux Etats-Unis, tu dois posséder tes entrées. Figurer dans les petits papiers de l’un ou l’autre groupe ou tourneur. Nous, nous écumions avec plaisir tous ces petits bleds et clubs paumés que compte l’Amérique. Le problème, c’est que les gamins grandissent, oublient la musique et dégagent vivre loin de leur patelin… Nous avions l’impression de devoir chaque année tout reprendre à zéro mais nous avons tellement joué que les gens ont fini par se souvenir de nous.  »

La route en mode Blind Shake, ce n’est pas la déglingue et la défonce façon Black Lips (les fins de soirées le cul à l’air et le nez poudré sur le bar d’un troquet plus ou moins malfamé). C’est un de leurs secrets: les frères Blaha carburent à l’eau plate. « J’ai bu un petit peu étant gosse mais les seules drogues que j’ai prises, c’était des médocs après une opération au genou, avoue Mike. Je pense que mes amis et ma famille me préfèrent sous antidouleurs. Ils me rendent moins véhément. Ça tombe mal. »

Installé aux premières loges, Mike connaît les méfaits de la came et de la gnôle… Notamment sur le marché du live. « Ne vous méprenez pas: un tas d’artistes se dézinguent chaque soir et sont malgré tout capables d’assurer le lendemain. Ce qui m’impressionne d’ailleurs. Mais beaucoup trop de groupes ne sont obsédés que par leur look, l’idée qu’ils se font d’avoir l’air cool, et boivent tellement qu’ils sont déjà complètement déglingués avant de jouer et saloper leurs concerts. Je n’ai pas l’impression de faire quelque chose de spécial en restant sobre. Ne pas boire rend la vie plus facile.  »

A fortiori quand on est perfectionniste et jusqu’au-boutiste… Puis qu’on aime abuser des bonnes choses. Blaha se connaît et évite soigneusement tout prosélytisme. « Quand j’apprécie un truc, je veux repousser mes limites et devenir aussi bon que possible dans ce domaine. Boire ne me mènerait qu’à l’alcoolisme. Mais pour les gens qui ne sont pas enclins aux excès, l’alcool est, je pense, un incroyable lubrifiant social. Perso, j’apprécie les gens qui ont quelques verres dans le coco. Ils parlent souvent de choses plus intéressantes que quand ils sont sobres. Leur vision du monde n’en est que plus pertinente et sincère. »

La sobriété de The Blind Shake est de l’ordre de l’héritage familial. « Nos parents nous ayant eu très jeunes, Jim et moi avons grandi au milieu de fêtes débridées durant lesquelles les seules personnes sobres à la maison étaient les enfants. Ma mère était une grande festive et elle s’est battue contre les affres de l’alcool. On a vu les dégâts qu’il causait. Quand elle a dû arrêter, on a assisté à son combat et ça nous a permis d’en tirer les leçons. Les vieux amis de nos parents sont devenus gros, ont arrêté de prendre soin d’eux et ont disparu du monde. Je sais qu’il y a encore des gens dans le business de la musique qui font attention. Et je sais aussi que sans la bière, l’industrie du rock serait déjà morte. Je me suis un temps complètement opposé à l’alcool mais je ne suis plus aussi radical. Chacun fait ce qu’il veut de sa vie. »

Straight edge

N’en déplaise à Ian Dury, le regretté papa de Baxter, le sexe, la drogue et la picole ne collent pas toujours aux basques du rock’n’roll. Eric Clapton, David Bowie, Ringo Starr, Alice Cooper, Tom Waits, James Hetfield… On ne compte plus les légendes et stars de l’industrie qui ont pris leurs distances avec la bibine et la came. Pour certains d’ailleurs, c’est la seule explication au fait qu’ils soient toujours sur terre et pas six pieds dessous. Le Smith Johnny Marr a été jusqu’à déclarer qu’il faudrait lui mettre un flingue sur la tempe pour qu’il boive aujourd’hui… Dans un autre état d’esprit, ce queutard et vicelard de Gene Simmons (Kiss) racontait, au détour de son autobiographie, les bienfaits de la sobriété: tous les mecs qui allaient se bourrer la gueule et se défoncer pendant que lui en profitait pour se taper leurs gonzesses.

En attendant, depuis plus de 30 ans, les clean addicts ont leur mouvement. Réaction directe à la révolution sexuelle, à l’hédonisme et aux excès du punk, le straight edge a émergé de la scène hardcore au début des années 80 sur la côte Est des Etats-Unis. Il repose sur quelques « sains » piliers comme le rejet de l’alcool, du tabac et des drogues récréatives mais est associé à un large et varié panel d’idées, de valeurs et de croyances. Le refus du sexe avant le mariage (voire pour le plaisir), des médicaments et de la caféine pouvant être revendiqué, ou pas, par des extrémistes de droite glorifiant la pureté des corps comme par des communistes, des défenseurs de la cause animale et des bobos végétariens…

Si Keep It Clean des Vibrators, She Cracked et I’m Straight des Modern Lovers (qui rejette l’usage de drogues) manifestent déjà fin des années 70 une aversion pour l’autodestruction, le nom du courant fait référence à l’un des premiers morceaux des Minor Threat emmenés par Ian MacKaye (Fugazi) qui a toujours refusé la paternité du mouvement abstinent. Il vient de l’expression « to have the edge ». Comprenez « avoir l’avantage ». L’idée étant qu’en ne buvant pas et en gardant les idées claires, ses partisans prenaient le dessus sur les saoulards et les drogués. « Contrairement à la première vague punk, nihiliste et désenchantée, celle qui surgit avec Minor Threat se veut positive, politiquement radicale et puritaine« , écrit le Dictionnaire du rock.

Son symbole, les lettres XXX, fait référence aux croix dessinées sur la main des moins de 21 ans dans les bars américains pour indiquer leur interdiction de commander des boissons alcoolisées au bar.

« Nous ne sommes pas straight edge, reprend Mike. Nous croisons de temps en temps des mecs qui ne boivent pas ou plus, mais à ce que je sache, nous n’avons même jamais joué avec un groupe qui soit du mouvement. Si j’apprécie la passion qui habite ses adeptes, la culture du non boire est davantage à mes yeux un changement diététique qu’un style de vie. Pas besoin de prêcher à la tête des gens quand tu n’es même pas sûr de vivre comme il le faut. Nous n’avons d’ailleurs jamais écrit de chanson sur l’alcool. Pour tout dire, j’aime quand nos fans sont complètement bourrés et se lâchent dans la salle. Ils viennent nous soutenir donc je veux qu’ils prennent du bon temps. Et s’ils ne nous aiment pas, peut-être devraient-ils juste picoler jusqu’à ce que ce soit le cas.  »

Garder les idées claires n’est pas toujours chose facile dans notre monde d’alcooliques, anonymes ou pas. La pression sociale est forte… « D’une certaine manière, tu dois te battre pour ton droit à ne pas boire. Tellement de gens viennent te voir et veulent te payer un coup, une pinte, un shot parce qu’ils ont aimé ton concert. Tu as presque l’impression de les offenser parfois quand tu refuses. Je ne t’empêche pas de boire alors laisse-moi le droit de ne pas me saouler. »

Mike a pesé le pour et le contre. « J’aime me lever tôt pour bosser et c’est compliqué avec une gueule de bois. Mais le principal inconvénient quand tu ne bois pas, c’est que tu abandonnes les after parties où tu pourrais rencontrer un tas de gens géniaux. Quand il est 3 heures du mat et que tu es le seul mec sobre dans les parages, aller te coucher te semble plus intéressant que regarder tes potes musicos punir leur foie… »

BREAKFAST OF FAILURES, DISTRIBUÉ PAR GONER/KONKURRENT.

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LE 28/4 AU MAGASIN 4.

TEXTE Julien Broquet

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