LES RELATIONS FAMILIALES SONT À NOUVEAU AU CoeUR D’UN ROMAN DE DAVID VANN. UNE PLONGÉE DANS LES EAUX TROUBLES DU PARDON, DE LA RÉDEMPTION ET DE LA RÉSILIENCE.

Aquarium

DE DAVID VANN, ÉDITIONS GALLMEISTER, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ETATS-UNIS) PAR LAURA DERAJINSKI, 280 PAGES.

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David Vann l’avoue lui-même: ses romans exorcisent une enfance taillée en pièces par le suicide de son père quand il a 13 ans. De la culpabilité et la rancoeur qui le dévorent depuis, il a fait les carburants littéraires d’une oeuvre qui hache menu les relations intrafamiliales. Comme dans Sukkwan Island, le récit sombre et violent, prix Médicis étranger en 2010, qui l’a sorti de l’ombre. Un père défaillant y tente de renouer les liens avec son fils en l’emmenant sur une île déserte en Alaska. Rien ne se passe comme prévu et l’escapade tourne bientôt à la chasse à l’homme sur fond de nature grandiose et hostile. Par la suite, l’écrivain globe-trotter continuera à gratter cette plaie originelle, explorant les multiples variations du cancer familial avec son sens aigu de l’observation: le mariage dans Désolations, l’amour dévorant d’une mère pour son fils dans Impurs.

Son nouveau roman, Aquarium, s’il s’intègre parfaitement dans cette lignée, délaisse les grands espaces de cette nature primitive faussement accueillante qui servait de décor à la plupart de ses histoires. Une relocalisation en milieu urbain qui s’accompagne d’une plus grande perméabilité aux sentiments et aux tumultes intérieurs pour évoquer une double filiation problématique, celle d’une mère et de sa fille d’abord, et sous cette première peau fragile, celle de cette mère et de son propre père.

Caitlin, douze ans et narratrice, vit avec sa daronne dans un logement social de la banlieue de Seattle coincé entre un aéroport et un zoning commercial, « avec vue sur les parkings du département des Transports« . Si Sheri prend soin de sa gamine, bossant dur sur les quais, elle ne peut cacher la rage qui l’habite et dont la source se trouve dans un passé enfermé à double tour. Pour échapper à la solitude et à cette existence morne, la petite passe son temps à l’aquarium de la ville. Dans ce monde peuplé de créatures encore plus étranges et improbables qu’elle, Caitlin trouve un peu de mystère et matière à réflexion sur le sens de l’existence. « J’aurais pu m’inscrire à une activité périscolaire, mais je choisissais délibérément d’aller vers les poissons. Ils étaient les émissaires d’un univers plus vaste. Ils représentaient les possibles, une sorte de promesse« , explique-t-elle.

La tempête après le calme

L’arrivée d’un nouveau prétendant dans la vie de Sheri est plutôt une bonne nouvelle pour la gamine. Avec un peu de chance, sa mère va s’autoriser à être heureuse. Caitlin envisage même de lui parler de son amitié récente et secrète avec un vieil homme passionné comme elle de poissons. Chaque jour elle le retrouve à l’aquarium après l’école pour discuter des vertus des rascasses ocellées ou du poisson-fantôme.

Porté jusque-là par un souffle poétique teinté de mystère inédit chez Vann, le roman bascule subitement du côté de la sauvagerie quand Sheri découvre que cet intrus n’est autre que son père à elle, ce salaud qui s’est fait la malle 19 ans plus tôt, la laissant seule avec une mère malade et sadique. Une tentative de raccommodage tardif insupportable pour la jeune femme qui laisse éclater sa fureur. Contre son paternel repentant bien sûr, mais aussi contre Caitlin, coupable de pactiser avec l’ennemi, et d’entretenir une relation amoureuse avec sa copine de classe Shalini. Une seconde partie qui n’évite pas l’outrance, défaut déjà observé dans Goat Mountain, son précédent roman, mais qui montre que les blessures affectives sont comme les anémones: quand on les touche, elles libèrent leur poison.

LAURENT RAPHAËL

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