ALTERNANT FILMS DE COMMANDE ET PROJETS PERSONNELS, THOMAS VINTERBERG SIGNE, AVEC KOLLEKTIVET, UN FILM LIBREMENT INSPIRÉ DE SES SOUVENIRS D’ENFANCE, DANS UNE COMMUNAUTÉ À COPENHAGUE.

Entamé sur un coup d’éclat avec Festen, manifeste du mouvement Dogma doublé d’un brûlot qui devait enthousiasmer la Croisette cannoise en 1998, le parcours de Thomas Vinterberg s’est ensuite décliné en demi-teintes. Il faudra ainsi quelques années au cinéaste danois pour se relever de l’échec de It’s All About Love, essai américain ayant promptement viré au fiasco critique et commercial sinon artistique; une traversée du désert qui devait s’achever en 2010 sur un Submarino en forme de retour tendu aux sources de son cinéma.

Depuis, le réalisateur semble avoir trouvé son rythme, alternant désormais oeuvres de commande –Far from the Madding Crowd, nouvelle version du classique de Thomas Hardy, ou encore Kursk, film de sous-marin attendu à l’horizon 2017- et projets personnels coécrits avec son compère Tobias Lindholm, les Submarino, Jagten ou, aujourd’hui, Kollektivet. Avec ce dernier, Vinterberg replonge dans ses souvenirs d’enfance lorsque, au coeur des années 70, il grandissait dans une communauté comme il en fleurissait alors à Copenhague et ailleurs. Un film au parfum d’utopie, objet d’une conversation passionnée lors de la dernière Berlinale…

Dans quelle mesure ce film reflète-t-il votre expérience personnelle de la vie en communauté?

J’ai fait de mon mieux pour rendre Kollektivet personnel, mais pas privé pour autant. Il y a des éléments empruntés à mon expérience: un des membres de la communauté avait par exemple pour habitude, lorsqu’il nettoyait, de prendre mes affaires qui traînaient et de les brûler, j’y ai laissé des baskets. Il y a des choses de ce genre, mais pour l’essentiel, il s’agit d’une fiction. L’histoire a fait l’objet d’une dramaturgie, et a été improvisée sur la scène du Burg Theater de Vienne, par des comédiens autrichiens et allemands, avant d’être transposée à l’écran par Tobias Lindholm. Mais s’il ne s’agit pas d’une histoire vraie, les sentiments, eux, sont bien réels.

La communauté telle que vous la décrivez s’écarte des clichés…

Il y a beaucoup de fantasmes sur ce qui se passait dans les communautés, autour de la nudité, des fuck rooms, du cannabis. Sur les trente-deux maisons que comptait la rue où j’habitais, six étaient des communautés, et toutes étaient totalement différentes. Celle où je vivais était plutôt bourgeoise, avec des universitaires, des profs d’école, des journalistes, des philosophes, des écrivains sans emploi. C’était donc plutôt convenable, mais cela restait une communauté, avec sa vie de tous les jours. Quelque chose d’intéressant se produit lorsqu’on emménage dans une maison avec d’autres gens: la différence entre ce que vous voulez montrer au monde et ce que vous voulez lui cacher disparaît. Les deux facettes sont présentes: les démons sortent, et d’autres choses aussi, et cela dispense une certaine beauté. C’est un lieu de mise à nu, où les gens sont liés de façon différente et forte, presque comme dans une famille.

Comment la communauté où vous viviez a-t-elle évolué?

J’ai vécu douze ans en communauté. En 1975, il s’agissait d’une assemblée animée et un peu dingue où l’on croisait des gens à moitié bourrés qui se sentaient très sexy parce qu’ils s’écartaient de la norme. Ils brisaient le modèle de la famille nucléaire patriarcale, et emménageaient ensemble, qui plus est en première classe: ils pouvaient se permettre des maisons dans les quartiers les plus riches de Copenhague. Tout y tournait autour de la notion de partage: c’est celui qui gagnait le plus d’argent dans la maison qui a suggéré d’établir le loyer en fonction des revenus, triplant du même coup sa contribution personnelle. Dix ans plus tard, certains des occupants étaient restés les mêmes. Il s’agissait désormais de trois familles, plus âgées, avec une femme de ménage, et n’ayant pas envie de déménager parce que le jardin leur plaisait. Quand ils allaient boire un verre, certains prenaient de l’eau, et il s’en trouvait toujours un pour suggérer de partager la note, l’eau étant moins chère que la bière. Voilà comment les choses ont évolué. Mais on ne peut pas généraliser. J’ai essayé de rendre accessible ma propre expérience d’une communauté en 1975.

A vos yeux, comment fonctionnerait une communauté de nos jours?

Il en existe à Copenhague, à la suite du manque d’appartements. Les jeunes s’installent ensemble, pour des raisons pratiques. Mais ils ont des étagères séparées dans les frigos, c’est autre chose. Dans les années 80, l’individualisme, la liberté de chaque individu et le droit à la solitude se sont imposés. Ce sont de grandes vertus, mais à l’exact opposé. Et elles semblent perdurer. Tout le monde, désormais, semble vivre seul: même dans les couples, on a chacun son propre appartement. Une communauté contemporaine tient plus de l’intermède pratique que du projet idéologique, ou venant du coeur.

Avez-vous tourné ce film par nostalgie pour l’époque?

Jusqu’à un certain point, j’éprouve de l’envie, et cette époque me manque, la version « sanctifiée » de ma communauté. Pour un enfant, c’était incroyable, chaque jour ressemblait à un conte de fées. Mais j’ai aussi voulu que ce film aborde de façon frontale le fait que les gens meurent, divorcent, vieillissent, la peau finit par nous tomber sur les os et tout le monde peut être remplacé. J’ai abordé tous ces épisodes brutaux et cyniques que nous imposent nos sociétés de manière franche, à l’abri de toute nostalgie.

Après Far from the Madding Crowd, faut-il également voir dans ce projet une certaine nostalgie pour la façon dont vous travailliez auparavant? On retrouve ici un esprit voisin de celui de Festen, tourné au Danemark, sans star dominant la distribution, et dans un environnement familial. S’agit-il d’un retour à vos fondamentaux?

Je procède désormais régulièrement de la sorte. Adapter le travail de quelqu’un d’autre, comme la prose magnifique de Thomas Hardy, a quelque chose de libérateur, tandis que raconter mes propres histoires génère de la pression. Si je suis le roi sur un film d’auteur danois, je ne fais jamais que siéger dans le conseil d’administration pour un projet américain. J’y fais partie d’un ensemble, et je n’ai même pas le montage final, je laisse cette responsabilité à quelqu’un d’autre. Cette légèreté m’attire créativement et me permet d’explorer d’autres choses en profondeur. Et parfois, de grands scénarios se présentent, qui me permettent de concrétiser mes rêves de cinéaste, à savoir créer des personnages ou des situations qui vont nous accompagner.

Quel regard portez-vous a posteriori sur le Dogme?

Le concept de Dogma était fantastique, tant il était stimulant artistiquement. Il nous a tous rendus courageux et conséquents. Des gens m’ont averti que j’allais bousiller ma carrière: des cameramen étaient furax vu nos prescrits sur la lumière, le directeur de l’école nationale de cinéma au Danemark a écrit des articles dystopiques à notre sujet. C’était risqué, voire suicidaire, ce qui en a fait tout autant une exploration qu’une révolte. Puis, le succès est venu, et c’était terminé: le risque s’était transformé en ticket pour les festivals. Tout le monde voulait participer à un film Dogma, et au Danemark, on pouvait même acheter du mobilier Dogma. Nous voulions déshabiller le cinéma et le mettre à nu, et c’est devenu un style, une marque que nous avons dû détruire, tristement, afin de pouvoir avancer. Ce que j’en ai conservé, c’est l’ambition de procéder toujours de manière pure et aussi dénudée que possible. Et de rester dans la confrontation, jusqu’à un certain point. Pour moi, ce que fait Trine Dyrholm dans ce film est très nu et très pur, et c’est ce à quoi j’aspire.

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Berlin

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content