PREMIER LONG MÉTRAGE DE FICTION DE BENJAMIN AVILA, INFANCIA CLANDESTINA REVIENT SUR L’ÉPOQUE OÙ L’ARGENTINE ÉTAIT SOUMISE À LA DICTATURE MILITAIRE, UNE PÉRIODE ENVISAGÉE À HAUTEUR D’ENFANT.

Lorsqu’on l’invite à retracer la genèse de Infancia Clandestina, son premier long métrage de fiction, Benjamin Avila a cette formule, qui tient de l’euphémisme: « C’est un film que j’ai toujours voulu faire et qui m’a pris beaucoup de temps. » Dix ans, précisément, depuis la mise en chantier du scénario, soit le temps de trouver la distance adéquate pour aborder une histoire largement autobiographique, à savoir celle d’un enfant ayant grandi, après des années d’exil et avec un nom d’emprunt, sous la dictature militaire en Argentine, à la fin des années 70. « J’ai toujours eu envie de raconter mon histoire, mais le cinéma a cette caractéristique que l’on y fait les choses quand on peut, et non quand on veut. Je pense, en définitive, que mon film arrive à un bon moment. Il permet d’approfondir ce qu’on fait en Argentine pour construire les droits de l’homme. Il y a dix ans, il aurait été assimilé à une oeuvre de contestation et de dénonciation, s’inscrivant dans une démarche plus virulente. Aujourd’hui, les droits de l’homme tentent d’écrire l’Histoire différemment, et ce film, par ce qu’il a généré en Argentine, y contribue. »

Elan vital

Né il y a une quarantaine d’années à Buenos Aires, Avila s’est fait un nom dans la production d’émissions de télévision éducatives. On lui doit encore divers courts métrages, et un documentaire, Nietos, sur les enfants des « disparus », volés par les familles de militaires, un film au sous-titre programmatique, Identitad y memoria. Infancia Clandestina navigue dans des eaux voisines, qui revient sur cette même période à travers le regard d’un enfant, Juan, 12 ans. Fils de militants des Montoneros, une organisation péroniste en lutte contre la junte au pouvoir, celui-ci connaîtra une fin d’enfance chahutée, entre clandestinité et perte, brutale, de l’innocence. « L’essence du film, c’est la vision d’un enfant, poursuit le réalisateur. Et la question qu’il pose, c’est: qu’est-ce que cela signifie, de voir les choses à travers ce regard? »

Et en effet, si Infancia Clandestina est assurément un film politique, son prix tient au fait qu’il s’agit aussi d’un récit initiatique classique -Avila cite Papa est en voyage d’affaires d’Emir Kusturica et My Life As a Dog de Lasse Hallström comme inspirations, pour le portrait qu’ils tracent de l’enfance. Son film, pour sa part, trouve dans cette articulation un ton on ne peut plus singulier: « La clandestinité est associée à quelque chose de sombre, à l’enfermement. Or moi, les souvenirs que j’en garde ont quelque chose de lumineux, avec de l’amour et du partage au quotidien. Je voulais montrer ce côté plutôt positif, avec sa part de tendresse et d’échange, et m’opposer aux préjugés qui ont construit l’image exclusive de cette époque autour de la souffrance, de la douleur et de la noirceur. Mon souvenir n’était pas associé à la mort mais bien à la vie. » Le film est d’ailleurs dédié à « tous ceux qui ont gardé la foi », manière de s’inscrire dans un élan vital, tout en se détachant d’une vision trop manichéenne. Pour traduire néanmoins la violence d’une réalité qu’il ne s’agissait pas d’édulcorer pour autant, Avila a eu recours à des séquences animées, réalisées avec le concours de Andy Riva. « L’animation a deux raisons d’être, explique le réalisateur. Beaucoup de films sur la dictature ont déjà été tournés en Argentine, et nous n’avions rien à ajouter à la manière dont la violence y avait été montrée. Mais plus fondamentalement, le film est basé sur le point de vue de Juan, et nous utilisons différents éléments narratifs pour que le spectateur se retrouve dans sa tête, l’animation étant le plus inconscient de ces procédés. Elle va s’inscrire d’autant plus profondément dans l’esprit du spectateur qu’elle fait appel à ses propres images: l’animation est le reflet de la réalité, mais pour la reconstruire, on y projette son imaginaire personnel. »

De quoi donner un surcroît de singularité à un film oscillant avantageusement entre drame politique et mélo familial. « Un film comme Infancia Clandestina peut aider à construire la mémoire en ce sens qu’il peut produire un point de vue différent sur la réalité. Cela peut ouvrir des débats, apporter des idées nouvelles. Je voulais alimenter les discussions et contribuer à cette mémoire en y apportant mes souvenirs que je n’avais pas retrouvés dans d’autres films. » Pari joliment relevé, à découvert…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À PARIS

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