Mémoire du bâti

© F.T.P.E.S. #07 © PHILIPPE VAN WOLPUTTE
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LA GALERIE LEVY.DELVAL CONSACRE UNE EXPO AUX TPES DE PHILIPPE VAN WOLPUTTE. UN ACCROCHAGE QUI INTERROGE LA TRACE, LA MÉMOIRE ET NOTRE RAPPORT À L’ESPACE.

Temporary Penetrable Exhibition Spaces 2005 – 2015

LEVY.DELVAL, 9, RUE FOURMOIS, À 1050 BRUXELLES. JUSQU’AU 29/04.

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Tourner une page n’est jamais un geste anodin. Ça l’est d’autant moins lorsqu’il s’agit de revenir sur dix années d’un travail fascinant. L’oeuvre en question est celle de Philippe Van Wolputte (1982), plasticien qui s’était déjà fait remarquer en obtenant en 2013 l’ING Art Prize -actuel Belgian Art Prize. Pendant une décennie entière, cet Anversois a consacré son temps et son énergie à ériger des TPES, pour Temporary Penetrable Exhibition Spaces. Surgis de son imagination, ces « espaces d’exposition temporaires » consistent en une intervention subtile et délicate sur les friches urbaines. Pour Van Wolputte, ces maisons à l’abandon possèdent en elles un pan de mémoire collective et individuelle qu’il ne faut pas laisser filer. Bien sûr, dans leur empressement à reconfigurer le bâti pour des raisons de profit, l’époque, pas plus que les promoteurs immobiliers, ne s’inquiète jamais d’effacer de la ville ces concrétions d’un genre particulier. « Il faut prendre le temps de dire au revoir« , confie l’artiste avec beaucoup de douceur. Pour ce faire, dès 2005, il a investi par effraction des bâtiments désaffectés. Il y a du ready made architectural dans sa démarche. Au moyen de bombes et de plastiques récupérés, Van Wolputte trace une signalétique, composée de dessins de grilles, de lettres -la désignation en tant que TPES– et de flèches, pour inviter tout un chacun à pénétrer à l’intérieur des demeures sur lesquelles il est tombé par hasard. Afin de générer le plus de visites possibles, Philippe Van Wolputte multiplie les moyens de communication: bouche-à-oreille, mailing, conférence, teasing vidéo, organisation d’une visite privée… Ironie de la chose: souvent, la possibilité de se glisser à l’intérieur du lieu est ténue, il faut une sérieuse agilité pour y prétendre. À l’intérieur? Il n’y a bien entendu rien à voir au bout de cette « promenade patrimoniale » d’un genre inédit, si ce n’est le passage du temps, cette grande entreprise de démolition. Le tout pour un mécanisme en forme d’entonnoir qui n’est pas sans rappeler le fonctionnement du désir.

Forme muséale

Cette étonnante matière première, Philippe Van Wolputte la documente de la manière la plus précise qui soit. Photographies, archivage rigoureux, mise en place d’un protocole, numérotation des projets… l’arsenal pour préserver ce qui fût contraste sévèrement avec le destin de ces interventions qui parfois ne voient pas l’ombre d’un visiteur et dont les jours sont toujours comptés. S’il s’était déjà emparé de la galerie Levy.Delval précédemment, notamment à travers des masses compactes de ruban adhésif greffé sur des colonnes à la manière de boutures « downcyclés », cette fois le plasticien s’en prend aux murs de la façon la plus muséale qui soit. Là aussi, le contraste est puissant entre le sujet du travail, proche du rebut, et l’effet esthétique généré. Collages monoprint, photographies, archives et tableau vide censé recenser les potentiels intrus dessinent une harmonie sur le gris qui magnétise le regard. Ce passé récent, sans réelle valeur historique, maintenu à bout de bras par la volonté d’un projet, emmène du côté d’un travail de mémoire salutaire tel que l’aborde un Christian Boltanski. À ceci près que les compositions, quasi abstraites, possèdent la beauté effrayante des ruines fumantes.

WWW.LEVYDELVAL.COM

MICHEL VERLINDEN

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