Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

LA SCIENCE DES RÊVES – UNE MÉDITATION ÉLÉGIAQUE SUR LE POUVOIR DU RÊVE DANS L’AMOUR AU COEUR DE LA BOHÈME INTELLECTUELLE AMÉRICAINE. UN TARDIF PREMIER ROMAN ET UN COUP DE MAÎTRE.

DE HILLEL HALKIN, ÉDITIONS QUAI VOLTAIRE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ISRAËL) PAR MICHÈLE HECHTER, 278 PAGES.

Il n’est jamais trop tard, en littérature. Célébré pour ses essais sur l’identité et la mémoire juive ainsi que pour ses traductions anglaises de maîtres comme Amos Oz, l’Israélien Hillel Halkin laissait semble-t-il sommeiller en lui l’écrivain de fiction depuis un certain nombre de livres. Il commet aujourd’hui un premier roman à l’âge de… 74 ans.

Rien d’étonnant sans doute: son récit se déplie entièrement le long d’un flash-back. Depuis une île grecque, un homme en exil recompose lentement les contours d’un amour commencé à 30 ans de là, dans les coulisses de la revue littéraire d’un lycée new-yorkais. Pour Mélisande, il était simplement « Hoo », l’un des deux prétendants du trio qu’ils avaient pris l’habitude de former avec son charismatique et instable ami Ricky. Une fille, deux garçons: l’histoire est une énième variation sur le triangle -littéraire- amoureux. Dans un premier temps, bien sûr, Mellie délaissera Hoo pour le fougueux Ricky. Dans un second temps, bien sûr, elle en reviendra, provoquant une fragile recombinaison du trio, quand elle entamera avec Hoo une longue parenthèse d’amour fou dans l’ombre portée de l’absent…

D’abord banale et sacrément familière, l’arborescence amoureuse d’Halkin tire peu à peu sa sève de profondeurs intimes fascinantes. Evidemment, il y a l’évocation d’une époque: bohèmes idéalistes, Hoo, Mélisande et Ricky évoluent au sein du West Side new-yorkais des fifties. Au sein de leur trio-microcosme, ils figurent les codes d’une classe naissante: la jeunesse. Vaguement supérieurs, ils boivent des express et fument des cigarettes en faisant semblant d’être à Paris. Ecoutent du blues, swinguent sur Bill Haley. Vont à la plage à Coney Island. Découvrent Platon, Herman Hesse et Camus. Ont leur « période dostoïevskienne ». Et surtout la certitude péremptoire de trouver toutes les réponses dans les livres. Halkin laisse avec une grâce infinie l’Amérique passer sur ses héros, des années McCarthy aux revers du Peace and Love. Au coeur de l’Histoire en marche, il isole une bulle de résistance au temps: celle de l’intimité amoureuse. La passion de Mélisande et Hoo y est convoquée avec une accumulation de détails si physique et bouleversante qu’on se dit que tout ça n’a pas pu ne pas être vécu: Halkin y dresse la liste de leurs mots, de leurs promesses, celle des objets insolites dont ils meublent leur histoire ou des étranges rituels auxquels ils se livrent avant l’amour.

Dernier romantique

Les références dont Hoo nourrit sa passion pour Mélisande sont érudites, philosophiques, poétiques -parfois bibliques. Son titre, Halkin le tire d’ailleurs d’un vers de Heinrich Heine, poète allemand du début du XIXe siècle, considéré par beaucoup comme le dernier romantique. Et sous son égide, Halkin semble effectivement reprendre le flambeau d’une sensibilité passionnée et infiniment mélancolique. Un néo-romantisme poursuivant l’idée du ravissement par le rêve.

En choisissant de ne se placer ni (seulement) du point de vue d’une rencontre ni (seulement) d’une rupture, le livre épouse une question fascinante: comment écrire sur l’amour quand il dure? Hillel Halkin y répond dans un halo littéraire élégiaque et ardent. Quasi sacré. Et livre une méditation persistante sur le pouvoir du désir dans l’amour, autant qu’un aveu sublime sur le pardon et la rédemption. Vraiment, il n’est jamais trop tard en littérature.

YSALINE PARISIS

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