Il semble bien loin, aujourd’hui, le temps où Mel Gibson régnait sans partage, ou peu s’en faut, sur Hollywood, s’étant composé, entre Australie et Etats-Unis, un profil de (super)star par la grâce des Mad Max, The Year of Living Dangerously et autres Lethal Weapon (liste de succès non exhaustive). A quoi il faudrait bientôt ajouter l’étoffe d’un cinéaste révéré, statut glané dès 1995 et Braveheart, sa deuxième mise en scène deux ans après The Man Without a Face; un opus qui, s’attachant à l’épopée violente et sacrificielle de William Wallace, héros de l’indépendance écossaise, se verrait couronné de cinq Oscars dont ceux de Meilleur film et de Meilleur réalisateur.

Gibson confiait à l’époque avoir pensé porter à l’écran la vie de Ned Kelly, mythique hors-la-loi australien. Une crise existentielle plus loin, et le voilà qui opte, en 2003, pour The Passion of the Christ, retraçant, en araméen et en latin, les douze dernières heures du Christ en mode vériste -comprenez ultra-violent. Une entreprise qui, au-delà de son triomphe au box-office, va largement contribuer à brouiller l’image de la star à Hollywood (et au-delà). S’il se défend des accusations d’antisémitisme portées à son encontre, l’acteur/réalisateur, qui appartient par ailleurs à une Eglise fondamentaliste, ne dissipe pas le malaise. Mieux même, on ne peut contester au héros de Payback et autre Signs un certain panache dans la façon dont il va dès lors saborder consciencieusement sa carrière à grand renfort de déclarations au parfum douteux et autres frasques privées et/ou imbibées qui auront le don de le mettre au ban du microcosme hollywoodien. Et « Mad Mel » de rejoindre, à son corps défendant, les personnages de martyrs qu’il s’est plu à interpréter ou à mettre en scène, tendance que n’inverse pas en dépit de son incontestable intérêt Apocalypto, réalisé en 2006 en langue maya. La violence éprouvante d’une épopée habitée par la peur n’aide pas, il est vrai, même si la course à la survie de Patte de Jaguar dans les derniers temps de la civilisation maya ne manque pas de fasciner, qui vient survitaminer ce film d’aventures sanglant.

C’est aussi de survie, professionnelle s’entend, qu’il est question pour un Gibson que ses innombrables casseroles ont transformé en paria. Et si Jodie Foster tente bien de lui maintenir la tête hors de l’eau avec The Beaver, un film où il affronte ses propres démons, la suite de son parcours penche vers les séries B à Z, contraint qu’il est de jouer les utilités chez Robert Rodriguez (Machete Kills que devrait suivre Machete Kills in Space, tout un programme). A moins qu’il n’incarne, énième emploi masochiste, un yankee au bout du rouleau détenu dans une geôle mexicaine le temps de Get the Gringo, nanar attribué à Adrian Grunberg, et voué à l’exploitation vidéo. Directeur de la photographie sur ce dernier, Benoît Debie raconte: « Mel Gibson ne réalisait pas le film, mais il avait coécrit le scénario, jouait et produisait. Et il a fini coréalisateur. Il a viré cinq personnes qui occupaient des postes importants, et je pensais devoir être le suivant; c’était au hasard, suivant la façon dont il était luné. Et puis, j’ai tenu bon. Il fallait être vigilant tout le temps, il régnait un peu un régime de « terreur ».« Assaisonné, pour le coup, des caprices d’une star ne souhaitant pas, par exemple, avoir de soleil sur lui, laissant le soin au chef-op de se dépatouiller avec la lumière mexicaine -une gageure. « Il est très compliqué, mais j’ai énormément de respect pour lui, parce qu’il connaît mieux le cinéma que quiconque », tempère toutefois Debie, louant aussi bien le sens de l’autocritique et le professionnalisme du comédien que la vista du cinéaste. Lequel pourrait l’exercer prochainement puisque, plus de dix ans après Apocalypto, Hacksaw Ridge, son nouveau film comme réalisateur, est annoncé à l’horizon 2017. Pas à un paradoxe près, Mel Gibson y fera le portrait de Desmond Doss… un objecteur de conscience.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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