LES SÉRIES SULFUREUSES SE MULTIPLIENT DANS LA LUCARNE. CHAMPIONNE DU GENRE, SPARTACUS, DONT LA 1RE SAISON PARAÎT EN DVD À L’HEURE OÙ LA SUIVANTE VOIT LE JOUR OUTRE-ATLANTIQUE, CRACHE SA PURÉE DE SEXE ET DE VIOLENCE EN ÉRUPTIONS JAMAIS VUES SUR LES PETITS ÉCRANS.

Ses plus féroces détracteurs l’abhorrent, sous prétexte qu’elle se résume à un enchaînement quasi systématique de scènes de violence gore et de sexe peu frileux. Ses plus ardents thuriféraires l’adorent, pour cette même détermination à proposer un enchaînement quasi systématique de scènes de violence gore et de sexe peu frileux. Personne, donc, pour venir contester le caractère éminemment provocateur et profondément outrancier du fer de lance de la petite chaîne câblée américaine Starz. Le reste est pure question d’affinités: nanar irregardable pour les uns, plaisir délicieusement coupable pour les autres, Spartacus divise.

Réservant quelques charmants détours par le sable rouge sang de l’arène, le show s’articule essentiellement autour du ludus du dominus Batiatus, école où sont formés, au 1er siècle avant JC, les meilleurs gladiateurs de Capoue. Un tissu de relations plus ou moins complexes s’établissant dans l’espace réservé aux maîtres comme dans celui dévolu aux esclaves: tandis que domina Lucretia est en haut qui montre ses lolos, Spartacus est en bas qui taillade du gras. La série ayant le bon (?) goût de jouer cartes sur table, on comprend très vite que, entre dominants et dominés, si les aspirations diffèrent sensiblement, les appétits des uns rencontrent souvent les intérêts des autres. Et un vaste réseau de fluides d’irriguer bientôt la demeure. Pour un résultat trivialement résumable: tripaille et nichonade à tous les étages.

Une surenchère absolue, donc, que revendique Steven S. DeKnight ( Buffy, Smallville, Dollhouse), le créateur du show, rencontré l’été dernier dans un luxueux hôtel hollywoodien: « Il s’agit d’une série centrée sur des gladiateurs, il nous apparaissait dès lors naturel d’aborder violence et nudité, masculine comme féminine, de manière frontale. Je suis toujours dubitatif quand des gens qui suivent Spartacus me disent, choqués: « Tous ces corps dénudés, cette brutalité, c’est vraiment exagéré! » Soyons sérieux, le show se présente d’emblée tel qu’il est. Dès le départ, les choses sont claires: il va y avoir beaucoup de sexe, beaucoup de violence et des dialogues bien salés. Alors qu’on ne vienne pas jouer les vierges effarouchées, après. »

Reste que la production semble indubitablement prendre un malin plaisir à multiplier les séquences tendancieuses…  » Il y a cette scène, dans le 2e épisode de la 1re saison, entre Batiatus et Lucretia. Dans la version initiale du scénario, ils faisaient l’amour tout en soutenant une conversation. Mais on s’est dit: « Voilà le genre de situation que l’on peut voir dans des tas de séries, on devrait proposer quelque chose de différent. » Ceci étant, je ne voulais pas verser dans la perversion et la luxure pour le simple plaisir de verser dans la perversion et la luxure. Le cadre de la série impliquant un véritable système de classes, j’ai pensé: « Et si les maîtres utilisaient les esclaves pour se préparer à faire l’amour ensemble? » Une servante est donc amenée à faire une fellation à Batiatus avant que celui-ci n’honore son épouse. Tout le monde me parle de cette scène, mais elle ne montre pourtant pas grand-chose. C’est ce qu’elle implique qui marque durablement les esprits…  »

Dans la marée gloutonne des sorties, il s’agit donc avant tout de se démarquer du tout-venant télévisuel. Sans pour autant sacrifier purement et simpement la cohérence du récit et de ses personnages sur l’autel de la provocation.  » On ne se dit jamais: « Bon les gars, comment va-t-on choquer les téléspectateurs cette semaine? » Ou bien: « Cet épisode ne contient pas assez de scènes de cul, on va en rajouter. » Les situations de sexe et de violence doivent être justifiées par l’histoire. » Ça tombe bien. Saignante à souhait, celle de Spartacus autorise tous les excès: torture, décapitation, émasculation, crucifixion… Quand les choses ne tournent pas plutôt en joyeuse partouze. Tous les coups sont permis.

Sexy et viscéral

Qu’on ne s’y trompe pas, Spartacus est loin d’être un phénomène isolé, tombé de nulle part.  » J’ai adoréRome au moment de sa diffusion. Et c’est clair que cette série, absolument somptueuse, nous a en quelque sorte ouvert la voie, en contribuant à briser certains tabous liés au petit écran. Mais ce n’est pas la seule. Dans un tout autre genre, je pense par exemple àTell Me You Love Me (production HBO au sexe cru et naturaliste qui, en 2007, s’intéressait au destin de 3 couples bien de leur époque, ndlr). » On ajoutera pêle-mêle aujourd’hui: True Blood, The Tudors, Game of Thrones, Borgia… Des séries qui, au-delà de leurs bien réelles singularités respectives, naviguent dans les mêmes eaux interlopes: stupre, manigances, trahisons, brutalité, cruauté… Incessants défilés de corps à corps: poussées fiévreuses de l’art de l’amour contre flambées furieuses de l’art de la guerre.

Spartacus va plus loin. Tellement loin que son outrance contamine jusqu’à son esthétique, toute en ralentis dramatisants et autres surcharges visuelles.  » L’aventure Spartacus a commencé quand mon agent m’a appelé pour me dire que Starz et Sam Raimi (réalisateur star que l’on sait mais également producteur patenté de séries costumées aux penchants toc et kitsch comme Hercule ou Xena, la guerrière, ndlr) souhaitaient lancer une fiction sur des gladiateurs à la manière du film 300 . Un truc sexy et viscéral, tourné entièrement devant des écrans verts. » Un gage d’artificialité gonflée à l’emphase et aux effets numériques, donc, qui là encore semblait trouver sa justification dans la nature même du show.  » Le rendu graphique de la série est très orienté comic books. Pour la simple raison que nous ne voulions pas complètement dégoûter le public. Ça aide à supporter le côté trash. Nous ne pouvons pas constamment balancer de la violence réaliste, ce ne serait pas tenable. On réserve ça à quelques moments bien précis. » Comme quand une brute épaisse découpe littéralement le visage de son adversaire défait, avant de le superposer fièrement au sien…

Du pain et des jeux

Pour en partie justifiée qu’elle soit par le contexte dépeint, cette violence, graphique ou non, n’en répond pas moins indéniablement à une logique de surenchère pour le coup largement gratuite, et confinant au pur caprice de genre. Le Gladiator de Ridley Scott, pas dénué de cruauté voire de crudité pour autant, ne semblait en effet pas nécessiter pareille prodigalité sanguine. L’assertion valant également en termes d’épanchements orgiaques. Ce que concède volontiers Steven S. DeKnight:  » Les programmes de genre ont toujours été populaires mais je pense qu’ils sont vraiment en train de connaître une nouvelle ère, notamment grâce à la télévision câblée, qui autorise plus de liberté. Mais c’est lié également au cinéma. Les frères Wachowski, avec Matrix , et plus récemment Zack Snyder, avec 300 et Watchmen , ont notamment contribué à faire sortir les productions de genre de leur niche. Tout ça pour dire que Spartacus s’inscrit dans cette évolution. S’il nous importe vraiment de respecter nos personnages, de les faire évoluer de manière cohérente, d’explorer leurs zones d’ombre, il s’agit avant tout d’une série d’action, d’un divertissement. C’est pour ça que le show est construit de sorte que, même si tous les épisodes sont reliés entre eux, chacun n’en forme pas moins une histoire en soi, avec un début, un milieu et une fin. Et que l’on aime conclure sur un climax capable de provoquer des émotions fortes, qui donne furieusement envie de découvrir la suite. Nous voulons que les gens se disent: « Mon dieu, je ne peux pas croire ce que je viens de voir! Que va-t-il se passer la semaine prochaine? » »

Revenue de tout, l’époque affectionne les divertissements de l’extrême -voir, au hasard, le boom médiatique entourant aujourd’hui l’Ultimate Fighting. Et Spartacus en effet de réactiver quelque part, à travers le miroir volontiers grossissant de la culture populaire, cette fascination primitive, viscérale, quasi pornographique, pour la sauvagerie, l’horreur, la mort, qui motivait jadis les combats de gladiateurs. La série ne faisant au fond qu’illustrer à sa sauce, extra forte, une maxime ancestrale: du pain (dans ta face) et des jeux (dans tes fesses). l

TEXTE NICOLAS CLÉMENT, À LOS ANGELES

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