Dans l’Amérique des 50’s, Paul Thomas Anderson explore le lien se nouant entre un ex-Marine et un gourou charismatique. Un film dense, puissamment incarné.

The Master

De Paul Thomas Anderson. Avec Joaquin Phoenix, Philip Seymour Hoffman, Amy Adams. 2 h 17. Dist: A-Film.

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Sixième long métrage de Paul Thomas Anderson (Magnolia, There Will Be Blood), The Master est incontestablement de ces films qui s’enrichissent à chaque vision. L’oeuvre est dense, en effet, dont la pleine perspective semble ne jamais devoir totalement se dévoiler, un formidable épisode désertique venant d’ailleurs donner au propos un horizon à sa mesure, infinie. Inscrit dans une Amérique des fifties partagée entre incertitudes et optimisme, le film explore la relation qui va se nouer entre deux hommes. Ex-Marine, Freddie Quell (Joaquin Phoenix) dérive depuis la guerre du Pacifique entre alcoolisme effréné (il fabrique son propre tord-boyaux, à toutes fins utiles) et instabilité chronique. Quant à Lancaster Dodd (Philip Seymour Hoffman), il s’épanouit en leader charismatique de « The Cause », une secte comme il en fleurit de nombreuses à l’époque -le personnage est vaguement inspiré de Ron Hubbard, le fondateur de la scientologie.

A peine se sont-ils rencontrés que Quell va tomber sous la coupe de Dodd, à qui il offre le cobaye idéal pour mettre ses théories à l’épreuve. Soit, en l’occurrence, un salmigondis fumeux où il est question de reprendre le contrôle de son existence en se libérant de ses traumatismes anciens; cadre suffisamment vague, en tout état de cause, pour pouvoir fluctuer au gré des circonstances, le prosélytisme ne s’encombrant guère de rigueur. Entre le mentor onctueux et son fragile disciple, la relation va bientôt se révéler plus ambiguë qu’il ne paraissait de prime abord cependant, faite de dépendance mutuelle et de fascination réciproque.

The Master s’inscrit incontestablement dans la continuité de There Will Be Blood, précédent opus de Paul Thomas Anderson auquel il tend un miroir déformant, le binôme Phoenix/Hoffman, affolant, faisant écho à celui que composaient alors Daniel Day-Lewis et Paul Dano, sans même parler du socle religieux incertain partagé par les deux films. La manière est toutefois plus aride, qui voit le réalisateur opter pour une mise en scène d’une rare claustrophobie, et oser une narration sans filet, errance limpide et opaque à la fois sur la crête de l’Amérique d’alors. Bercé d’une étrangeté que souligne la partition de Jonny Greenwood, traversé de fulgurances et porté par une éclatante maîtrise formelle, c’est là, assurément, un film inépuisable. La présente édition Blu-ray y adjoint de précieux compléments, au rang desquels Let There Be Light, documentaire sur la thérapie de soldats traumatisés par la guerre réalisé en 1945 par John Huston, et source d’inspiration revendiquée d’Anderson. La pièce de résistance en est toutefois Back Beyond, montage par PTA en personne de chutes du film, dont il constitue une extension étrange autant que fascinante -en ce compris la citation du Kiss Me Deadly de Robert Aldrich. Incontournable.

Jean-François Pluijgers

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