FORMÉS À LA FIN DES ANNÉES PUNKS 70’S SOUS FRONDE ANTI-CAPITALISTE, GANG OF FOUR ET THE POP GROUP REVIENNENT AVEC UN NOUVEL ALBUM. QUESTION: QUE RESTE-T-IL DE LA ROUGE DIALECTIQUE DES DÉBUTS?

CV

Gang of Four: En 1977, quatre musiciens de Leeds s’auto-baptisent La bande des quatre, du nom de la clique tout juste arrêtée dans la Chine post-Mao pour avoir encouragé les lubies barbares de la soi-disant Révolution culturelle. Façon de signer un engagement dans une Angleterre où le punk sublime la débâcle ambiante, Margaret Thatcher, après les socialistes sclérosés, défouraillant bientôt une politique de droite au kärcher. Gang of Four engloutit cet héritage de la génération Pistols/Clash dans des chansons vengeuses, qui claquent volontiers la porte en pleine gueule pop. Comme le premier single Damaged Goods, paru en décembre 1978, instant de glaciation qui remet l' »amour » à sa place la plus pragmatique, celle du désir supposé. La critique des relations humaines selon la bande s’inspire aussi du situationnisme, des théories de Wilhelm Reich et de l’Ecole néo-marxiste de Francfort. Pas moins.Lorsque le groupe se produit pour la première fois chez nous, le 19 février 1980, au Klacik ucclois, on découvre un collectif de riffs carnivores renvoyant à la pratique magique du funk vaudou, genre que la bande introduit alors -avec Talking Heads- dans la new wave internationale.

The Pop Group: Baptisé en 1977 d’un nom qui tourne en dérision sa vocation anti-mainstream, ce quatuor de Bristol reprend l’idéologie nihiliste/engagée du punk, tout en décrétant ce style musicalement inepte à incarner ses convictions. Mark Stewart, chanteur et figure de proue, préfère un cocktail rédempteur de dub, free jazz et funk hautement déboîté. Les lyrics incendient toute notion de consumérisme, de showbiz, de sexisme-racisme et bien sûr de thatchérisme. Avec un engagement ferme pour Amnesty International -le groupe lui verse les dividendes de sa première tournée majeure- et le CND, mouvement pacifiste de la gauche britannique. Le premier album sorti au printemps 1979, Y, ajoute à tout cela un goût pour des rythmes tribaux via la production du Jamaïcain Dennis Bovell fourbissant un hallucinant chaudron sonique. Résultat: l’un des « debut records »les plus saignants de l’Histoire de la (non) pop. On les voit le 7 mars 1980 au Plan K: spasmodiques, charnels, bruitistes. Les vieilles colonnes de fonte de la raffinerie de sucre molenbeekoise s’en souviennent encore.

Débandade

The Pop Group flambe seulement pendant quatre ans (1977-1981) avant la débandade: il ne se reformera qu’en 2010. Gang of Four boucle un premier cycle de 1978 à 1986, et se remet en selle en 1991 puis plus durablement en 1995. Pourquoi deux des formations les plus incisives à la charnière fertile des années 70/80 n’ont-elles pas évité l’implosion précoce et le cycle boîteux des reformations? Dans le cas de la bande à Stewart, le processus d’autodestruction est somme toute inscrit dans les gènes de départ: The Pop Group, machine critique autant que musicale, se place dans la lignée des Last Poets ou d’Ornette Coleman. Pas seulement sur le plan du défi sonore, mais aussi parce que sa virulente hargne sociale se heurte à l’opposition de ceux qui contrôlent les moyens de diffusion et le marché radiophonique. C’est une chose de faire la couverture du NME -le Pop Group y est fin 1978-, c’en est une autre de vivre de sa musique alors qu’Internet n’est encore qu’un fantasme prospectif. La divergence entre Stewart et le guitariste-saxophoniste Gareth Sager ajoutera au schisme fatal. Gang of Four, outre des problèmes d’ego et de séparations persos, va, lui, tenter le grand chelem rock: conquérir le Royaume-Uni, le continent européen et l’Amérique du Nord. Celle-ci frémit légèrement mais aucun album de GOF ne dépassera la 168e position dans les charts US (Hard en 1984). Ronald Reagan en rit encore.

2015

Gang of Four: L’album Content de 2011 s’annonçait comme un gros steak de retour: premières chansons originales de GOF depuis 1995. Mais les critiques sont contrastées, Rolling Stone écrivant aimablement: « C’est anti-capitaliste essentiellement parce que vous n’avez pas envie de posséder l’album. » Depuis lors, le chanteur original Jon King s’en est allé, gérant sa boîte spécialisée en… films d’entreprises. Du coup, le guitariste Andy Gill, unique rescapé des débuts, embauche pour le nouveau What Happens Next (Membran) un vocaliste inconnu (John Gaoler Sterry) et des invités tels que Gail Ann Dorsey, Alison Mosshart ou la star teutonne Hubert Grönemeyer. Le résultat manque nettement de coup de sang fédérateur, sonnant volontiers comme du Peter Gabriel bio, en tout cas loin de l’über-funk volcan des années 80. Symptomatique: les questions politiques ne semblent même plus être un terrain d’enjeux.

The Pop Group: Dès le titre Citizen Zombie et la pochette parodique du fameux poster incitant les citoyens américains à s’engager dans la Première Guerre mondiale, on comprend que l’eau est toujours chaude à la plomberie Stewart. Ce premier album en 35 ans (V2 Records), bouclé avec les quatre membres d’origine, sonne à peine moins déviant que les délires tribaux fractionnés d’avant. Les loufoqueries, moins free, sont ici assaisonnées d’un poivrage funky qui jouxte une rythmique acharnée (Mad Truth, S.O.P.H.I.A. ) et même quelques sequencers amis (Nations).La critique sociale, celle qui disait très fort le bordel et l’injustice des années 70/80, est bien là, logiquement dopée par les circonstances politico-économiques qui n’ont fait qu’empirer depuis. Du coup, la musique, un rien plus consensuelle, n’abandonne ni son travail anxiogène sur les guitares (St. Outrageous)ni son dub vertébral (Age of Miracles),présentant aussi un spleen inédit qui adoucit l’idée de lien défait (Echelon).Du coup, le Pop Group réussit quelque chose d’assez unique en 2015: donner du sens et du suspens à un disque, sans en fusiller le plaisir. Merci pour cela. On attend maintenant de voir l’affaire sur une scène belge, par exemple au Plan K…

TEXTE Philippe Cornet

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