PUISANT DANS SA CASSETTE À SOUVENIRS PERSO, FRANTZ DUCHAZEAU SIGNE UN ROAD-MOVIE CHAUFFÉ À BLANC PAR LE ROCK CALIENTE DE LA MANO NEGRA.

La Main heureuse

DE FRANTZ DUCHAZEAU, ÉDITIONS CASTERMAN/PROFESSEUR CYCLOPE, 104 PAGES.

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On connaissait l’intérêt de Frantz Duchazeau pour la musique du Delta, dont les alluvions mélancoliques tapissent trois de ses productions récentes: Meteor Slim, Lomax et Blackface Banjo. Ce qu’on ne savait pas, c’est qu’avant de s’abreuver à la source blues, le dessinateur originaire d’Angoulême -qui a dit prédestination?- se baignait dans les eaux internationales et tumultueuses de la Mano Negra. Un amour de jeunesse au coeur de ce nouvel album parfumé à la nostalgie des premières fois pleines de promesses.

Back to the nineties. Frantz trompe l’ennui de son âge ingrat et d’un patelin endormi en dessinant le désastre annoncé du mariage de ses parents. Un vague à l’âme potentiellement toxique bientôt balayé par la bonne nouvelle colportée à dos de mob asthmatique par son pote Mike: leur groupe fétiche, cette main noire cambouis qui « tatoue les têtes et les coeurs » passe deux jours plus tard à Bordeaux, soit à 100 km à peine de là. Un cadeau du ciel. Sauf que 100 bornes quand on a quatorze, quinze ans et qu’on est censé aller à l’école, c’est l’autre bout du monde…

Si Mike n’entend pas louper ce rendez-vous, en revanche Frantz a quelques scrupules, vite balayés par la vidéo du concert de la bande à Manu Chao en Equateur, la musique ayant le don de projeter l’ado dans un univers parallèle où les personnages des pochettes vintage de Thomas Dornal -le gorille, la danseuse de cabaret…- prennent subitement vie. « Vivons nos rêves Mike!« , finit-il par hurler.

Esprit d’aventure

Et voilà comment le surlendemain nos deux Tintin se lancent dans un voyage semé d’embûches. Comme redouté, leur meule les lâche en rase campagne, ils manquent de se faire écraser par un chauffard et croisent un ex-camarade déjà confit dans la routine, l’image même de tout ce qu’ils refusent de devenir. Heureusement, les deux lascars peuvent compter sur le soutien d’adultes attendris par ce trip qui réveille en eux les rêves enfouis sous la pile des résignations.

Une fois arrivés à bon port, et alors qu’ils pensent avoir fait le plus dur, c’est la douche froide. Le concert est sold out et les prix des places au marché noir bien au-dessus de leurs maigres moyens. Mais la chance sourit aux audacieux. Une rencontre inattendue avec l’idole va leur ouvrir les portes du paradis.

Ce road-movie carbure à la tendresse. Fidèle à son trait doux et charbonneux, Duchazeau navigue entre réalisme et flou artistique. Une sorte de débraillé graphique étudié qui laisse infuser ici et là le fantastique et la poésie. Comme quand son trait se fait dentelle pour chorégraphier un pas de danse suave avec la danseuse de la Mano, une scène qu’on dirait empruntée au Polina de Bastien Vivès.

« Tout le monde passe par là, on sort de l’enfance, on vit sa petite vie et un jour on prend une grosse claque en découvrant quelque chose« , écrit Jackie Berroyer dans la préface. Ce quelque chose ce n’est pas rien, c’est la magie de la musique, cette faculté à cristalliser, illuminer et sublimer les espoirs et aspirations fragiles de la jeunesse. Duchazeau livre une version intime touchante de cette quête existentielle.

LAURENT RAPHAËL

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