Mâle dans sa peau

Le décès d’Hubert en février dernier fut un choc. Son ultime album démontre ses talents de raconteur d’histoires.

Au fil de sa trop courte carrière, Hubert n’a jamais cessé de parler de désir, de genre… et de conte de fées. Avec les Kerascoët, il a signé les très belles séries Miss Pas Touche et Beauté. Avec son complice Zanzim, il creusait plutôt du côté morbide de sa personnalité dans le très étrange Ma vie posthume. Avec Peau d’homme, les deux auteurs rassemblent toutes leurs préoccupations. Dans l’Italie de la Renaissance, une jeune femme de bonne famille, Bianca, est promise à Giovanni, de quelques années son aîné. Pendant que les parents des futurs époux négocient la transaction, Bianca s’interroge sur son avenir. Elle aurait aimé connaître un peu plus son futur mari. Avant le mariage, elle va passer quelques jours chez sa tante qui, plus ouverte d’esprit que sa mère, lui dévoile une bien étrange pratique: il se transmet dans la famille une peau d’homme secrètement gardée dans un coffre sous clef. Elle permet aux femmes qui la revêtent de se faire passer pour un homme. L’exploration de ce nouveau corps terminée, Lorenzo/Bianca part à la découverte de ce  » continent étranger aux moeurs fort éloignées » de celui des femmes. D’abord la surprise, puis le dégoût et ensuite la curiosité vont pousser Bianca à endosser l’étrange habit plus qu’il n’en faut, au risque de déclencher une situation plutôt inattendue.

Mâle dans sa peau

Les chemins du désir sont impénétrables

Bianca est une femme très ouverte d’esprit pour l’époque, pourvu qu’on lui en donne les moyens. Si sa nouvelle peau lui ouvre la porte à plus de liberté, le poids que la religion fait peser sur la population n’épargne aucun des deux sexes. Les décolletés plongeants des dames sont montrés du doigt et la beauté des hommes elle-même devient suspecte et dangereuse, car ouverte à la corruption de l’âme. Peau d’homme est une BD tout public, ou du moins elle le devrait. Comme Beauté, qui paraissait à l’époque dans un hebdo jeunesse, elle aborde le genre, le désir et l’émancipation de manière décomplexée, à la fois frontale et subtile. S’ajoute ici l’autre préoccupation d’Hubert: sortir le conte de fées de l’ornière de la bien-pensance dans laquelle un certain grand studio d’animation américain l’a plongé et lui redonner sa dimension éducative, sans dogmatisme ni édulcoration. En cette période troublée, coincée entre populisme réac et revendication #MeToo, une telle liberté de ton, adressée à tous, amène une bouffée d’air frais dans le discours ambiant et matière à penser. En ce sens, Peau d’homme réussit sa mission. Le message ici est clair: aimez-vous les uns les autres de la manière qui vous convient le mieux, sans juger celle de vos voisins. Mais, réalistes, les deux auteurs ont bien compris que pour leurs protagonistes, vivre heureux, c’est vivre caché.

Peau d’homme

D’Hubert et Zanzim, éditions Glénat, 160 pages.

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