Sur son deuxième album, l’excellent Blackmagic, José James ouvre un peu plus le jazz à la soul et au hip hop. Explications avant son concert à l’AB.

José James est un cas à part. En témoigne son premier disque, The Dreamer, sorti en 2008. Du jazz vocal, plus proche d’un Terry Callier ou d’un Gil Scott-Heron jeune que des canons actuels du genre. A mille lieues en tout cas de ce que peuvent faire les Jamie Cullum ou autre Diana Krall. A chacun son histoire: José James fait partie de cette génération qui a découvert le jazz via des samples de hip hop. Sur The Dreamer, il reprenait aussi bien Rashaan Roland Kirk ( Spirits Up Above) que la formation rap Freestyle Fellowship ( Park Bench People).

A bien des égards, c’est encore ce qu’il expérimente, aujourd’hui plus que jamais. Avec son deuxième album, le récent Blackmagic, il vient en effet de se rapprocher un peu plus de la soul. La transi-tion est frappante. En septembre dernier, sur la scène de l’Ancienne Belgique, il présentait encore son hommage à John Coltrane. Aujourd’hui, il balance Promise In Love, premier single presque pop, roucoulade amoureuse exquise . « J’ai toujours dit que mes 3 principales influences étaient John Coltrane, Billie Holiday et… Marvin Gaye. » Un exemple? « J’ai énormément écouté un disque comme I Want You. La manière dont il y décline sa voix m’a beaucoup marqué. »

En 2008, James rendait directement hommage au géant soul lors d’un concert spécial organisé dans le cadre du Jazz festival de Detroit. « J’ai repris des titres issus de sa première époque Motown: How Sweet It Is To Be Loved By You , Pride and Joy , Stubborn Kind of Fellow … J’adore cette période, ça swingue vraiment, c’est très joyeux. Pour moi, Marvin était un chanteur de jazz. Comme Sam Cooke, Al Green, Ray Charles… Ils viennent tous du même endroit. »

Plus tard, Marvin Gaye s’essayera à une écriture plus politique, et cela donnera le chef-d’£uvre What’s Going On. José James n’en est pas encore là. Blackmagic tourne d’abord autour de l’amour, un vrai disque charnel et sensuel. De fait, le chanteur est aujourd’hui un homme « heureux, marié et amoureux », glisse-t-il dans un sourire. « Cela étant dit, l’amour est en soi un sujet éminemment politique. Qui vous aimez, qui vous avez le droit d’aimer, comment vous pouvez aimer? Spécialement aujourd’hui avec les lois sur l’immigration, sur l’interdiction des mariages gays…

Coltrane en héritage

Il y a une vraie cohérence dans Blackmagic. Pour autant, le disque n’arrête pas de varier les paysages, allant piocher autant dans le soul-jazz que dans le dubstep (la reprise du Emotions de Benga), le hip hop ou la soul. « Pour moi, la base restera toujours le jazz. Mais en même temps, le terme recouvre énormément de choses. Pour le projet autour de Coltrane, on a par exemple repris des compos de sa femme, Alice Coltrane, qu’on a pu mélanger avec des influences hip hop à la Madlib. C’est comme quand vous écoutez ce que fait Mayer Hawthorne(1): est-ce neuf ou ancien? Au bout du compte, cela n’a pas d’importance. C’est un peu comme si toutes les frontières étaient devenues floues. »

Pour Blackmagic, José James s’est entouré de pas mal de monde, comme Taylor McFerrin (le fils de Bobby) ou le légendaire Moodymann, producteur house énigmatique. Est également associé au générique, le nom de Flying Lotus, héros actuel d’un beat hip hop aventureux. Derrière le pseudo, se cache Steven Ellison, qui avait pour tante… Alice Coltrane. « Avant que je ne sorte mon premier album, j’avais fait une reprise d‘Equinoxe de Coltrane. Mais on n’avait pas les droits pour le sortir. La première fois que j’ai croisé Flying Lotus à Londres, j’en ai donc profité pour lui en toucher un mot. Dans la foulée, je lui ai filé plein de matériel à écouter. Cela ne s’est pas arrangé pour Equinoxe , mais à la place il a proposé de bosser ensemble. »

Pour se retrouver où? Généralement autour d’un même beat fractal, une sorte de groove hip hop à la fois organique et abstrait, comme ont pu le définir des gens tels Madlib ou Jay Dilla. « Il n’y a pas beaucoup de chanteurs de jazz vocal, et ceux de mon âge sont plutôt partis sur quelque chose de plus traditionnel. Personnellement, j’ai envie d’amener un écho plus contemporain. Quelque chose auquel les gens peuvent se relier. » Et d’ajouter: « Je ne vois pas une énorme différence entre Flying Lotus et Alice Coltrane. Ils font tous les 2 une musique d’avant-garde. Or, les chanteurs de jazz ont toujours permis de faire passer les concepts modernes dans la culture populaire. Ella Fitzgerald l’a fait pour le swing et le be bop. Sarah Vaughan pour le be bop, Billie Holiday pour le swing… J’essaie de le faire pour le hip hop ou ce qui tourne autour…  »

(1) Mayer Hawthorne,

DJ blanc de Ann Arbor (Michigan), a sorti l’an dernier A Strange Arrangement, petit bijou de soul vintage.

José James, Blackmagic, chez Brownswood.

En concert le 24/03, à l’ Ancienne Belgique, Bruxelles.

Rencontre Laurent Hoebrechts

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