Mad libitum

Le génial producteur Madlib sort Sound Ancestors, brillant résumé de son art du sample, concoctant un groove hip-hop profond et aventureux

Il suffit de visionner quelques-unes de ses (rares) interviews pour s’en convaincre: Madlib est aussi peu bavard dans la vraie vie qu’il n’est prolixe sur disques. Depuis le début des années 90, Otis Jackson Jr. de son vrai nom n’a en effet jamais arrêté. Sous le nom de Madlib, il a réussi à imposer sa patte de producteur hip-hop, acrobate du sample, creusant un groove à la fois brut et élégant. Insatiable, il aura multiplié les projets et les alias. Si le plus connu est sans doute Quasimoto, on peut aussi citer le Yesterdays New Quintet, collectif jazz dont il est en réalité… le seul et unique membre.

Malgré sa réputation d’ermite, il a également enchaîné les collaborations. Comme producteur évidemment (pour Erykah Badu, Kanye West, De La Soul, etc.). Mais aussi via des projets en compagnie de J Dilla (Jaylib) ou MF Doom (Madvillain), héros hip-hop tous deux décédés bien trop tôt -le premier en 2006, à l’âge de 32 ans; le second, fin de l’année dernière, alors qu’il n’avait que 49 ans. Récemment, c’est encore aux côtés du rappeur Freddie Gibbs ou du batteur jazz Karriem Riggins qu’il s’est illustré. En fait, même sous le pseudo Quasimoto, Madlib dialogue avec Lord Quas, son alter ego fictif à la voix pitchée…

Cette fois-ci, cependant, c’est sous son pseudo principal qu’il revient. Quelque part, Sound Ancestors est d’ailleurs le premier véritable album original de Madlib. Même si le projet est à nouveau le fruit d’un partenariat, en l’occurrence avec Kieran Hebden, alias Four Tet.

Boulimie musicale

Crédité en tant que « curateur, éditeur et arrangeur », Four Tet a rassemblé pendant deux ans tous les sons que lui envoyait Madlib. Avec l’idée, raconte le producteur électronique anglais dans le Guardian, de construire un album qui se rapprocherait d’un « disque de jazz ou de prog-rock ». Moins dans le son évidemment que dans l’idée de tracer un véritable trip musical. À la fois limpide et long en bouche, Sound Ancestors le prouve en balayant large. Sous la matrice hip-hop pointent, pêle-mêle, digressions jazz, sample indie rock (Young Marble Giants sur Dirtknock), parfums reggae-dub ( Loose Goose), échos gospel ( Road of the Lonely Ones), guitare latin-jazz ( Latino Negro), obsessions krautrock, et autres sensations inédites (Quartabê, le « quartet jazz queer antifasciste brésilien » (sic), cité sur One for Quartabê/Right Now).

Mad libitum

En seize titres (une quarantaine de minutes), Sound Ancestors résume bien l’éthique et l’esthétique boulimique de Madlib. Où le sample est à la fois une matière première musicale brute, souvent peu retravaillée, mais aussi un élément vivant, chargé d’un sous-texte, et relié à d’autres. Comme quand il sample les Persuaders pour rendre hommage à J Dilla ( Two for 2). Ou encore quand il mélange jazz et « field recording », sur Duumbiyay . à la syncope du groupe vient se greffer la voix d’un gamin, enregistrée au milieu des années 50, dans un logement social de Harlem, chantant une litanie africaine sur des percussions bricolées. Comme une manière de raconter le lien musical indéfectible entre les deux rives de l’Atlantique noir.

Madlib

« Sound Ancestors »

Distribué par Madlib Invazion/V2.

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