Elle débarque simultanément en DVD et sur Arte: Real Humans, l’étonnante série d’anticipation venue de Suède, soulève son lot de questions vertigineuses sur la robotisation galopante de la civilisation occidentale. Et confirme au passage l’excellente santé de la fiction télé scandinave. Retour vers le futur.

Il y a quelque chose de pourri au Royaume de Suède. Conçus et commercialisés à la chaîne pour aider les pauvres mortels au rayon souvent ingrat des tâches ménagères, certains robots humanoïdes -ou hubots- affranchis ont pris le maquis, semant peur et désolation sur le chemin de leur improbable cavale. Pendant ce temps, au coeur de banlieues middle class drapées dans le conformisme rassurant de la normalité, leurs semblables font les frais d’un esclavage domestique d’un genre nouveau, quand ils ne servent pas de sex toys grandeur nature. Certains leur vouent une haine sans nom, placardant fièrement sur la porte de leur maison leur appartenance à la race des « vrais humains » comme on affiche son statut de donneur de sang pour faire fuir les démarcheurs impénitents amis de Jéhovah. D’autres les aiment, parfois éperdument, voyant dans la beauté figée de leur raideur toute mécanique le réceptacle idoine de leurs passions désaccordées…

« A l’origine, cela n’a pas été chose facile d’imposer ce projet, explique Lars Lundström, le créateur de Real Humans (ou Äkta Människor dans la langue de Stefan Edberg), de passage à Paris pour promouvoir sa diffusion sur Arte. Parce que ce genre de fiction n’est pas monnaie courante en Suède, où l’on est plus habitués à des séries criminelles, très réalistes. La science-fiction à la télévision est essentiellement associée aux productions américaines. On a donc fait un mini pilote, histoire de convaincre les programmateurs qu’on tenait là une bonne idée.  »

Et la chaîne SVT de se lancer dans la diffusion de la série dès janvier 2012, avec un joli succès local puis -magie de l’Internet- mondial à la clé, confirmant de singulière façon la belle vitalité de la création télé scandinave, de Bron à Borgen, de Forbrydelsen à Lilyhammer (voir encadrés). « Selon moi, la brèche a été ouverte par la littérature nordique ces dernières années, analyse Lundström. Quelqu’un comme Stieg Larsson a clairement montré la voie d’une fiction efficace, exportable et de qualité. Et puis les chaînes danoises, par exemple, ont beaucoup investi dans la création télévisée. C’est seulement en train de payer aujourd’hui sur le plan international mais le mouvement a été amorcé il y a déjà dix ou quinze ans. Bien sûr, il ne nous est pas possible de travailler au même rythme et avec le même savoir-faire que les Américains, mais c’est peut-être mieux ainsi dans la mesure où ça nous permet de faire les choses à notre façon. En résultent des séries marquées du sceau d’une vraie originalité. »

Now Future

Avec son rythme indolent, son esthétique clinique et ses subplots parfois très à l’ouest, la série ne ressemble en effet à rien de recensé par les radars cathodiques. Et se permet par exemple de jouer la carte de la science-fiction à tout-va sans quasiment passer par la case effets spéciaux, son parti pris résolument minimaliste ne manquant pas de conférer à son univers anticipatif un étrange vernis de réalité. « Evidemment, cela tient en partie au budget limité qui était à notre disposition. Mais cette contrainte, encore une fois, est peut-être aussi une force: elle vous oblige à peaufiner l’écriture, à ne pas vous reposer sur une débauche d’action et d’effets. A faire preuve d’intelligence, en somme.  »

L’intelligence de Real Humans, en l’occurrence, tient notamment à sa capacité, sans cesse renouvelée, à investir par la bande futuriste une série de problématiques tout à fait contemporaines. « Je ne peux pas dire que je suis un grand fan de science-fiction. Mais l’univers de Real Humans s’est en quelque sorte imposé à moi, riche de toutes les histoires potentielles qu’il permettait de raconter. Il me semblait évident que ces hubots pouvaient favoriser les métaphores et autres allégories renvoyant à des sujets sensibles d’aujourd’hui, comme l’immigration ou l’homosexualité. Ou ce que vous voulez accoler à ces machines plus ou moins affranchies et leur lutte pour s’intégrer, imposer leur différence. »

Pour le coup, le parallèle avec la production américaine semble inévitable, Lars Lundström semblant peu ou prou envisager ses robots humanoïdes sur le modèle d’Alan Ball et ses vampires dans True Blood… « Les deux séries n’ont pas grand-chose en commun mais oui, le principe est le même. Créer un univers non réaliste, cohérent, régi par ses propres règles, vous donne plus de liberté pour traiter ces problématiques. Et puis, soyons honnête, c’est quand même beaucoup plus fun que de s’y attaquer frontalement, non? »

The Man-Machine

Certes. Mais la série va plus loin. En s’aventurant par exemple sur le terrain existentiel à travers une poignée de hubots qui, par la grâce d’un mystérieux code informatique, semblent accéder à un niveau de conscience largement supérieur à celui induit par leur usage domestique, se confrontant parfois violemment à leur propre finitude. « Quand les hubots sont libérés, c’est un peu comme s’ils naissaient véritablement à la vie. C’est un réel traumatisme pour eux de réaliser qu’ils sont quelqu’un et qu’un jour ils ne seront plus personne. Avoir en tête que, tôt ou tard, vous cesserez d’exister, c’est en quelque sorte le prix à payer pour la liberté. »

La liberté et la mort, deux notions cardinales d’une série sans tabou contribuant à brouiller la frontière, toujours plus ténue, entre l’homme et la machine. « ll y a ce personnage, Leo, dont certains organes ont dû être remplacés. Il a besoin d’électricité comme les hubots, et pourtant c’est un homme. Voilà qui soulève de très intéressantes questions. Qu’est-ce qui nous définit en tant qu’humain? Notre cerveau? Notre coeur? A partir de combien de « pièces de rechange » cessez-vous d’être humain? Et, a contrario, dans quelle mesure une machine évoluée, qui craint la mort et la souffrance, éprouve des émotions, peut-elle être considérée comme autre chose qu’un simple agencement, plus ou moins savant, de pièces détachées? »

Soit, à peu de choses près, la thématique scandée jadis par Kraftwerk et son Man-Machine. Car si la série laisse entrevoir une possible humanité des machines, elle souligne aussi, et peut-être avant tout, une certaine mécanisation des rapports humains. Robots après tout?

À partir du jeudi 4 avril sur Arte (lire page 71).

Real Humans – saison 1 ( ***). Une série SVT créée par Lars Lundström. Avec Andreas Wilson, Lisette Pagler, Pia Halvorsen. Coffret 4 DVD. Dist: Twin Pics.

Rencontre Nicolas Clément, à Paris

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