SON EVOLUTION CONFIRME L’ORIGINALITÉ TROUBLANTE D’UNE CINÉASTE AUSSI RARE QU’AUDACIEUSE ET INSPIRÉE.

Des lunettes d’intello, un quelque chose de japonais dans l’habillement « jeune fille sage ». Une modestie peut-être inattendue au vu de la radicalité farouche de ses films. Et une passion du cinéma qui transparaît dans chacune de ses phrases. La réalisatrice de La Bouche de Jean-Pierre, d’Innocence et du tout neuf Evolution (lire la critique dans Focus du 11/03)n’est pas de ces auteurs prolifiques pensant à tourner un nouveau film sitôt le précédent achevé. Ses oeuvres à elles sont portées par une nécessité intérieure, et sont aussi difficiles à financer, tant il est impossible de leur poser quelque étiquette « marketable ». Lucile Hadzihalilovic était tout récemment l’invitée du Festival Offscreen, au Nova de Bruxelles. C’est au sous-sol du cinéma que nous l’avons rencontrée, dans un bar étrange, assez rock’n’roll, où sa haute présence s’inscrivait comme naturellement…

La saga d’Evolution, fascinant parcours dans un monde clos peuplé seulement de jeunes garçons et de femmes adultes qui se réunissent en de mystérieux palabres au bord de la mer, illustre bien le cadre inconfortable dans lequel Hadzihalilovic doit créer ses films. « Le projet remonte à sept ou huit ans déjà, explique la réalisatrice. Tout a pris plein de temps, car personne ne comprenait ce que serait ce film, s’il allait marcher, dans quel genre on pouvait le classer… Il a fallu expliquer les intentions, être plus explicatif dans le scénario lui-même. Alors que c’est très dangereux, que l’absence de mystère peut tuer le film! Car au coeur de celui-ci, il y avait justement ce mystère des rapports d’enfants avec le monde adulte… » C’est ainsi que Lucile Hadzihalilovic changea de producteur pour rejoindre Sylvie Pialat (1). « Plutôt que de s’acharner à trouver un plus gros budget, elle et moi avons décidé de travailler sur un budget volontairement très bas d’à peine 1,5 million –Innocence ayant coûté 2,5 millions. J’ai dû couper un tiers du scénario… »

Parce que son cinéma accueille des éléments de fantastique, voire de « body horror », on aurait pu imaginer la réalisatrice chercher -comme jadis un David Cronenberg- la protection du genre, histoire d’intégrer un « créneau ». « C’est malheureusement impossible en France,tant il y est encore très mal considéré, regrette-t-elle. Le cinéma d’auteur, que je fais, et le cinéma de genre, que je fais aussi, ne peuvent se combiner. Il y a d’une part l’art, et de l’autre des choses impures, présumées peu profondes, voire carrément idiotes… »

Argento et Lynch

Sur cette question de la frontière entre le « respectable » et le « vulgaire », la cinéaste cite Dario Argento, le prince lyrique du giallo, comme sa toute première influence, alors qu’elle était encore aux études à l’IDHEC (2). « C’était assurément un auteur et, en même temps, il faisait des films dans un genre populaire », constate avec justesse celle qui puise, comme son autre grand exemple David Lynch (« Eraserhead m’a extraordinairement marquée! »), dans sa propre expérience intime pour nourrir inconsciemment son art. « Au tout départ d’Evolution, il y avait cette idée d’un hôpital, où une mère emmenait son fils, à qui on faisait des choses ne relevant pas du réalisme, se souvient la cinéaste. Ce n’est que récemment que j’ai eu conscience de la source intime: ma propre hospitalisation, à dix, douze ans, pour une appendicite… Tout s’était bien passé, médicalement parlant, mais le fait que des adultes inconnus m’ouvrent le corps, alors que j’étais en pleine prépuberté, m’avait fait une impression bizarre, un peu inquiétante. Un lien s’est fait avec Evolution, cela me paraît évident, maintenant… « 

Lucile sourit des interprétations tantôt freudiennes, tantôt jungiennes (surtout) que la critique la plus pointue fait de son cinéma. « Je ne pourrais pas faire les films que je fais si j’analysais moi-même leur motivation et -pire encore- leur sens, commente-t-elle. Je les fais parce que quelque chose me travaille, parce que j’ai le besoin de les faire, parce qu’ils m’aident après coup à mieux me comprendre, surtout quand je parle avec le public après une projection. Ce sont les spectateurs qui me disent ce que j’ai fait (rire)! »

Précieux tremblements

Complice et compagne de Gaspar Noé, autre représentant de la marge la plus audacieuse et créative du 7e art en France, Lucile Hadzihalilovic partage avec lui un goût assumé de la radicalité, et pousse encore plus loin l’élan vers l’étrange. « Ce n’est pas mon truc de filmer la rue en bas de chez moi, constate-t-elle. Ça ne veut pas dire que je doive absolument aller dans des endroits incroyables, mais j’ai trop de mal à filmer la réalité, alors je me fabrique des petits mondes. Je peux les fabriquer dans une chambre ou à Lanzarote, comme cela a été le cas pour Evolution… » Les paysages de son dernier film, la cinéaste les a filmés avec pour chef opérateur le Belge Manu Dacosse, collaborateur attitré d’Hélène Cattet et Bruno Forzani (Amer, L’Etrange couleur des larmes de ton corps). « J’ai d’abord fait un court métrage avec lui (Nectar, NDLR) pour nous tester l’un l’autre avant le long. C’était en 16 mm et j’aurais bien voulu tourner le long en 16 aussi. Mais c’était trop compliqué, un peu plus cher, mais surtout pas pratique car nous allions tourner aux Canaries et qu’il aurait fallu envoyer le négatif en France ou en Belgique pour le faire développer… J’avais peur du numérique, peur qu’il fasse une image trop définie, réaliste, alors que le film est un monde mental, celui d’un enfant, et qu’il fallait donc un peu de flou, et de la matière… Nous avons travaillé dans ce sens, au tournage et en remettant du grain à la postproduction, en donnant plus de texture à l’image. Reste quand même qu’il manque le battement stroboscopique, que seul le défilement de la pellicule apporte. Cet élément aléatoire me manque beaucoup! »

(1) SCÉNARISTE, PRODUCTRICE ET COMPAGNE DE FEU MAURICE PIALAT.

(2) L’ANCÊTRE DE LA FEMIS.

RENCONTRE Louis Danvers

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