Luàna Bajrami

L'actrice et réalisatrice Luàna Bajrami est l'un des nouveaux grands espoirs du cinéma français. © LOIC VENANCE / AFP VIA GETTY IMAGES

Actuellement à l’affiche d’Ibrahimde Samir Guesmi et des 2 Alfredde Bruno Podalydès, la jeune actrice française présentera son premier long métrage en tant que réalisatrice cet été au festival de Cannes.

Deux films, seulement, auront suffi à Luàna Bajrami pour imposer sa présence à la manière d’une pure évidence dans le paysage cinématographique hexagonal. Et pas n’importe lesquels. Dans L’Heure de la sortie de Sébastien Marnier, en 2018, elle incarne l’une des élèves surdouées adeptes de rituels violents et morbides autour desquels se noyaute cet habile thriller à coloration fantastique évoquant le fameux Village des damnés de Wolf Rilla. Quant à l’incandescent et sublime Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, il la voit, l’année suivante, former avec Adèle Haenel et Noémie Merlant un inoubliable trio de femmes réunies par la grâce d’un indéfectible lien de sororité. Moment-charnière où elle décide d’ailleurs d’abandonner sa double licence de philo-droit à la Sorbonne pour se consacrer entièrement au cinéma. À tout juste 20 ans, Luàna Bajrami a faim d’histoires et d’écrans.

Croisée à la table des retrouvailles houleuses qui composaient la Fête de famille de Cédric Kahn (2019, toujours), la jeune comédienne est aujourd’hui à la fois à l’affiche d’ Ibrahim de Samir Guesmi et des 2 Alfred de Bruno Podalydès ( lire également son interview page 16). Avant, prochainement, L’Événement d’Audrey Diwan, adapté du roman d’Annie Ernaux. Ce qui s’appelle ne pas chômer…  » Je vis mes passions à fond, je travaille beaucoup et j’aime quand ça va vite, nous confiait-elle, l’oeil rond et pétillant, en septembre dernier en marge du Festival du Cinéma Américain de Deauville. Je suis tellement reconnaissante d’être là où je suis aujourd’hui. D’autant que ça fait complètement sens pour moi. C’est-à-dire qu’à travers mon parcours, j’ai vraiment envie de faire entendre une voix propre à la jeunesse. »

Se libérer des carcans

Logique, somme toute, quand on sait à quel point la vocation fut précoce chez elle. Née en France, Luàna Bajrami a grandi durant quelques années au Kosovo, d’où sa famille est originaire. De retour dans l’Hexagone, elle commence des cours de théâtre qui l’amènent à passer un premier casting. À dix ans à peine, elle décroche ainsi un rôle dans un téléfilm aux côtés de Miou-Miou. Quatre ans plus tard, elle a déjà un agent et tient le rôle principal d’un autre téléfilm, sur le harcèlement scolaire, aux côtés de Julie Gayet et Fabrizio Rongione cette fois.  » D’emblée, je suis tombée amoureuse des plateaux de tournage. J’adorais observer, et ça a été ma façon d’apprendre à travailler. Parce qu’au final, j’ai tout appris sur le tas. En regardant les autres faire, en discutant avec le réal ou le chef opérateur… Il faut dire que j’avais déjà mon idée derrière la tête. Mon désir premier, en effet, c’est l’écriture et la réalisation. C’est-à-dire que dans la cour de l’école primaire, j’écrivais déjà des scénarios. Ça m’est venu très tôt. »

Enfant, Luàna Bajrami adore aller au cinéma. Sa vraie grande passion, pourtant, c’est la littérature.  » Depuis toute petite, oui, j’ai une passion pour les gros pavés. Steinbeck est l’un de mes auteurs préférés. J’ai un rapport très fort aux livres. La littérature, c’est une école en soi. Je reste fascinée par des auteurs comme Balzac, Zola, qui ont développé une psychologie de l’humain extrêmement intéressante, et hyper nourrissante quand il s’agit de s’atteler à l’écriture d’un film. » L’écriture et la création, donc, parlons-en. Coup sur coup, la jeune femme vient en effet de scénariser et de réaliser un court puis un long métrage. Intitulé La Colline où rugissent les lionnes, ce dernier fera partie de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en juillet prochain. Il raconte la quête d’indépendance, dans un village isolé du Kosovo, de trois jeunes femmes bien décidées à ne pas laisser mourir leurs rêves et leurs ambitions.  » J’ai tourné ce film dans mon village d’enfance, que j’avais très à coeur de mettre en avant. Le vrai sujet, c’est ce désir d’émancipation qui est hyper universel mais qu’il me semblait très intéressant de traiter là-bas. Le Kosovo n’est pas un territoire-prison mais disons que ce n’est pas facile pour une jeune fille de s’y libérer des carcans. Il y a quelque chose de très paradoxal dans la situation politique et sociale du pays en ce sens que tout y est très conservateur, mais en même temps très américanophile, hyper capitaliste… Au sein des familles, certaines mentalités semblent encore relever des années 50. Avec ma meilleure amie, on a grandi ensemble là-bas. Moi j’ai eu le cinéma, et elle ça a été le foot sa porte de sortie. Je me suis inspirée de ça. J’aime l’idée d’un film fait par des jeunes qui parlent des jeunes. Avec une énergie assez brutale que j’avais besoin de lâcher d’un seul coup. »

Autodidacte revendiquée, Luàna Bajrami pratique la batterie, admire Marion Cotillard et carbure en toutes circonstances à l’instinct, qu’elle a, jusque-là, plutôt sacrément bon. Si elle est déjà occupée à peaufiner son deuxième long métrage en tant que réalisatrice, elle ne compte pas pour autant s’arrêter de tourner en tant qu’actrice.  » J’avoue que je suis aussi instinctive dans mes choix que dans ma méthode de travail. C’est comme ça, depuis le début, que j’ai appris à fonctionner. Pourtant, je peux passer beaucoup de temps à lire un scénario et à chercher à comprendre où le metteur en scène veut aller avec son film. J’aime dresser une espèce de profil psychologique du personnage, essayer de voir d’où il pourrait venir, tout en prenant soin d’y mettre aussi de moi-même, de le nourrir de mes propres projections. C’est intéressant d’avoir ce sous-texte-là parce qu’il y a mille manières de jouer une séquence. Plus j’en sais sur un personnage, plus j’ai le sentiment qu’il fait partie de moi, et plus je peux être riche et précise dans mes propositions. Sur Portrait de la jeune fille en feu , le personnage de Sophie, c’est drôle mais je l’ai vraiment pleinement découvert en endossant le costume. Rien que le fait de mettre le corset, c’était déjà une première rencontre. Après ça, c’est même comme si son phrasé me venait tout seul. »

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