LOUISE BOURGOIN EST ÉPATANTE DANS JE SUIS UN SOLDAT, UN PREMIER LONG MÉTRAGE OÙ LAURENT LARIVIÈRE TRACE LE PORTRAIT ACÉRÉ D’UNE BATTANTE PAR TEMPS DE CRISE.

Si le cinéma l’a adoptée depuis une bonne demi-douzaine d’années, avec La Fille de Monaco d’Anne Fontaine, Je suis un soldat (lire la critique page 25) restera assurément comme l’un des rôles marquants de Louise Bourgoin. La comédienne y incarne Sandrine, une jeune femme qui, se retrouvant sans emploi, n’a d’autre ressource que de retourner vivre chez sa mère, à Roubaix, pour se voir bientôt engagée par son oncle, un éleveur de chiens peu à cheval sur les principes. Soit la matrice d’un film fort, inscrit dans une époque n’en finissant plus de décliner la crise, et dont elle habite chaque plan avec la détermination rageuse d’une battante n’étant pas sans évoquer la Emilie Dequenne de Rosetta, c’est dire.

Alors qu’on la retrouve au festival de Namur, la mine tirée affichée à l’écran a cédé le pas à un air enjoué, et pour cause. Après La Religieuse de Guillaume Nicloux ou Tirez la langue, mademoiselle! d’Axelle Ropert, le film de Laurent Larivière vient en effet confirmer l’étendue du talent de Louise Bourgoin. Ce film, le réalisateur débutant l’a écrit pour elle, même si elle n’en a d’abord rien su. « Laurent et moi, on s’était rencontrés au théâtre, à l’occasion de la mise en scène par Camilla Saraceni de textes d’Olivia Rosenthal, et puis lors d’une performance. C’est comme ça qu’il a eu l’idée, un an après, en 2013, d’écrire ce film. Je lui ai inspiré ce personnage, mais j’ignorais qu’il l’avait écrit pour moi. Il m’a présenté une première version du scénario, en me demandant mon avis. Je l’ai lu de façon complètement objective, et lui ai dit le soir même que j’avais adoré, ajoutant que la fille qui allait jouer ça avait une chance incroyable. Et il m’a répondu: « Ça tombe bien, je l’ai écrit pour toi. »

En quête d’idéal

Je suis un soldat n’a rien, pour autant, d’un conte de fées, on l’aura compris. Et s’agissant de son personnage, Louise Bourgoin en souligne le mélange de ténacité comme de pugnacité, « le fait aussi qu’elle soit un bon petit soldat à l’écoute du désir des autres sans forcément écouter les siens. » Le chemin qui lui permettra de devenir elle-même n’aura rien, dès lors, d’un long fleuve tranquille, et le film s’inscrit dans un paysage humain et social malmené par une crise aussi bien économique que morale. »Je suis un soldat est un film politique. Comme dans La Loi du marché de Stéphane Brizé, on parle de classes sociales très peu évoquées au cinéma, et qui se trouvent dans un état de précarité extrême, sans que l’on pense qu’elles le sont, presque une middle class qui compose 90 ou 80 % de la population française. J’ai beaucoup aimé l’idée, assez inédite, de comparer ce trafic de chiens de race aux rapports de classes et aux rapports humains, à la façon dont l’on peut traiter les gens. » Et d’épingler cette « vie de chien » que Sandrine essaye de conjurer.

Pour préparer ce rôle intense, Louise Bourgoin raconte n’avoir guère fait de recherches tant le script lui semblait cohérent. Pour autant, elle s’est inspirée de deux films, Le Feu follet de Louis Malle et Les Choses de la vie de Claude Sautet, dont les personnages lui rappelaient Sandrine –« le fait de ne pas se sentir dans le même monde que les autres. Autour d’elle, les gens ne pensent qu’à l’argent, la survie, des choses primaires, matérielles, tandis qu’elle est en quête, un peu, d’idéal… » S’y ajoutera, pour mieux se l’approprier, un look changé. « Souvent, il y a un déclic dans l’aspect physique qui va m’aider tout au long du film. Cela peut être un collier, une coiffure, une robe ou un style de vêtements. Et là, j’ai demandé tout de suite à couper mes cheveux. J’ai beaucoup aimé que Sandrine ne soit pas un personnage stéréotypé: la séduction n’est pas le sujet, la féminité non plus, cela pourrait être un homme, une femme, peu importe. Elle est dans l’urgence, et a besoin de cette praticité. »

Les stéréotypes, Louise Bourgoin n’a cessé de les combattre, et sa filmographie en apporte l’illustration -n’est pas Adèle Blanc-Sec qui veut. « C’est difficile de trouver des rôles qui s’en écartent, toutes les actrices vous le diront. J’ai la chance d’en avoir, mais on me propose aussi énormément de comédies où la femme n’est qu’un faire-valoir de l’homme. C’est un vrai problème. » Considéré dans son ensemble, son parcours reflète aussi son souci d’indépendance. Diplômée des Beaux-Arts, et nourrie d’art contemporain -elle cite Marina Abramovic, Annette Messager, Sophie Calle, Ghada Amer ou Louise Bourgeois (à qui elle a emprunté son prénom d’actrice) parmi ses inspirations-, Louise Bourgoin bifurque vers la télévision et bientôt Canal + où, pendant deux ans, elle est la Miss météo du Grand Journal, montée d’adrénaline quotidienne à la clé. « Je n’aurais pas pu le faire pendant plus longtemps, sourit-elle. Quand c’est du direct, l’électricité dans l’air est palpable. J’avais l’impression de rentrer dans des arènes romaines ou de me trouver dans une corrida, c’était très violent. » Du coup, elle confie combien actrice n’a rien d’un métier à risque à ses yeux. Non, pour autant, qu’elle ait joué sur du velours, elle qui a dû longtemps combattre ce qu’elle considérait comme un déficit de légitimité. « Je n’ai pas fait le Conservatoire, et j’ai toujours eu le sentiment d’être trop gâtée, de ne pas mériter les rôles qu’on me proposait en comparaison des autres qui s’étaient donné du mal. J’ai un peu pallié cela cette année, en prenant des cours de théâtre où j’ai travaillé Phèdre. J’étais avec des acteurs déjà très confirmés, et cela m’a rassurée, parce qu’en fait, on se pose les mêmes questions, on est tous anxieux… »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers

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