APRÈS LE SUCCÈS DE SON PREMIER ALBUM, LOU DOILLON S’EST ENVOLÉE AU CANADA POUR POSER LES FONDATIONS DE LAY LOW, DISQUE FOLKEUX CONFIRMANT SA VOIE (ET SA VOIX) TOUTE PERSONNELLE.

Quand on la rencontre, elle déploie cette éternelle crinière ample, qui, malgré la frange marquée, continue de lui donner inévitablement un petit air sauvage: à 33 ans, Lou Doillon traîne toujours des contours d’ado, personnage bohème à la Salinger. « Fille de » (Jane Birkin et Jacques Doillon), Lou s’est un temps cherchée. Actrice? Mannequin? En 2010, elle fait ses premiers pas au théâtre. Dans une mise en scène d’Arthur Nauzyciel, elle lit du Beckett. « Pour la première fois, on me choisissait pour quelque chose que personne autour de moi n’avait déjà fait. Pour beaucoup de monde, cela a contribué à brouiller encore un peu plus les pistes. Moi, au contraire, cela m’a rendue plus « nette ». » On s’amuse à noter le titre du monologue: L’image« Quelque part, c’était en effet la première fois que je proposais quelque chose qui ne collait pas avec l’image que les gens avaient de moi. Y compris dans ma famille. »

L’étape suivante est décisive. Elle passe par la musique, et là encore, l’intitulé a valeur de déclaration d’intention. Places, premier album sorti en 2012, ancre une bonne fois pour toutes Lou Doillon, lui donne une assise, une… place. A la reconnaissance critique, s’ajoutent rapidement le succès populaire (double platine en France, or en Belgique) puis professionnel (Victoire de la musique pour l’interprète féminine de l’année). On se souvient d’un concert bruxellois au Cirque Royal, du public extatique, et de la néo-chanteuse en état de grâce. « Je me rappelle qu’au moment de chanter ICU (le principal tube de l’album, NDLR), je pensais ne jamais y arriver. Au départ, c’est quand même une chanson où je suis censée faire croire que cela ne va pas trop. Ce qui devient compliqué quand on vous envoie une telle dose d’amour que vous avez juste envie de sourire… »

Récemment, la chanteuse islandaise Björk a vécu le cas inverse: submergée par la rupture amoureuse dont parle son dernier album, elle a annulé la suite de sa tournée, incapable de continuer à chanter. « Personnellement, j’avais la chance que Places était un album de choses qui sont digérées d’une manière ou d’une autre. Lay Low, c’est pareil. Je sais qu’il y a une sorte de débat pour savoir si les nouvelles chansons parlent de choses terriblement personnelles. Mais non! Je ne me le serais pas permis. » Les éléments intimes dont parle Lou Doillon concernent la disparition en 2013 de sa (demi-)soeur, la photographe Kate Barry, morte en chutant du 4e étage de son appartement parisien. Officiellement, le drame n’est jamais évoqué dans le nouvel album paru ces jours-ci. « Consciemment, je n’ai pas glissé de bombes dans le disque. Cela aurait été trop compliqué à chanter. » Dans ses précédentes interviews, elle expliquait avoir même supprimé certains titres qui auraient pu créer l’ambiguïté. On n’est jamais trop prudent…

Surtout quand on a toujours plus ou moins vécu sous les projecteurs. Toute sa vie, Lou Doillon a dû composer avec les regards et les attentes, partagée toujours entre l’envie de les valider d’un côté (par lassitude), et de les démentir de l’autre (par honnêteté). La musique ne doit pas faire exception. Sur le morceau So Still, en toute fin de disque, elle chante en anglais dans le texte: « Et tu parais tellement sûr de moi/que je vais te prouver le contraire. » Explication: « Il y a quelque chose de rassurant dans l’idée de faillir. Quand quelqu’un vous dit: « Quoique tu fasses, tu ne pourras jamais me décevoir« , c’est terriblement paralysant! »

Charme boisé

Loin de l’étouffer, le succès a rassuré Lou Doillon. Encore faut-il qu’il l’affranchisse définitivement. Alors que Places avait été réalisé en France sous le patronage d’Etienne Daho –« et tenait quand même encore fort du geste de l’actrice »-, Lay Low prendra forme en dehors de l’Hexagone, là où on ne la connaît pas. Elle commence à bosser avec les Londoniennes de Savages (trop rock), puis Bernard Butler (trop poli), passe même un jour en studio avec Aaron Dessner de The National. Sans aboutir à quoi que ce soit de concluant. Elle contacte alors Taylor Kirk, leader du projet indie folk canadien Timber Timbre. « Il a fallu le convaincre. Il a fini par m’inviter une semaine, entre Noël et Nouvel An. Il devait penser que je n’accepterais jamais. Mais j’ai pris ma guitare, sauté dans un avion, et je suis arrivée par -33 à Montréal. » La paire se retrouve à l’Hotel2Tango, célèbre studio où a traîné toute la scène alternative de la ville, de Godspeed You! Black Emperor à Arcade Fire. « On est tous les deux effrayés par la dextérité musicale, ou même vocale. Du coup, on jouait souvent avec des instruments à peine accordés, parfois sans clic. Quand je suis rentrée en France avec les bandes, les ingés son français en avaient la mâchoire qui tombait. » (rires)

Il a donc fallu un peu recaler tout ça. Malgré tout, Lay Low a préservé un certain charme « boisé », bande-son calibrée pour les longues soirées automnales. Il a le mérite de se tenir loin de l’héritage musical familial. Lou Doillon est en fait bien plus « intimidée » par le poids de ses idoles (Leonard Cohen, etc.), comme quand elle chante: « Il n’y a d’horizon dégagé/seulement les fantômes de tout ce qui a déjà été fait auparavant/Reste-t-il encore un peu de place pour un de plus? » (Above My Head): « On est tous écrasés. Souvent par les gens qu’on aime, et à qui on a envie de plaire. Mais surtout par toutes ces choses qui nous ont fait rêver. »

Avec Lay Low, Lou Doillon confirme par ailleurs son chant granuleux et sa diction toute personnelle, frôlant régulièrement un certain maniérisme. Les plus critiques ont évidemment déjà ouvert le feu. D’aucuns la décrivent comme une bobo des beaux quartiers (dixit Libé, qui n’a jamais eu la plume tendre avec l’intéressée). Lou Doillon a pourtant bien davantage les manières d’une aristocrate. Cette façon par exemple de paraître dans son élément partout où elle va, de mettre son interlocuteur à l’aise, rendant le vouvoiement de la conversation plus proche que ne l’aurait été le « tu ». A vrai dire, le nouvel album Lay Low fonctionne un peu de la même manière: trop « distant » pour vraiment chambouler, mais suffisamment élégant pour se révéler irrésistiblement charmant.

LOU DOILLON, LAY LOW, DISTR. UNIVERSAL.

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EN CONCERT LE 14/12, À L’ANCIENNE BELGIQUE, BRUXELLES

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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