Il n’y avait sans doute que Benoît Debie pour rendre l’atmosphère, toute de déréliction, voulue par Ryan Gosling pour son premier long métrage. En un peu plus de dix ans, le chef-opérateur belge s’est taillé une solide réputation, qui l’a conduit des plateaux de Gaspar Noé et Fabrice Du Welz à ceux d’Harmony Korine (les explosions fluo de Spring Breakers, c’était lui) ou Wim Wenders -son travail sur Every Thing Will Be Fine est rien moins que soufflant. Il nous relatait, à la veille du dernier festival de Cannes, son expérience sur Lost River.

La rencontre avec Ryan Gosling

« J’avais rencontré Ryan il y a six ou sept ans. J’étais à Los Angeles pour un autre projet, et il a voulu me voir parce qu’il avait en tête de tourner un film qui ne s’est jamais réalisé. A l’époque, il avait été attiré par mon travail sur Irréversible, de Gaspar Noé. Il a continué à suivre mon parcours, et Enter the Void, qu’il a adoré, l’a conforté dans son envie qu’on travaille ensemble. Il y a un an, alors que j’étais en train de faire l’étalonnage de Spring Breakers à L.A., il m’a appelé pour me parler de Lost River, encore à l’écriture. On a passé une soirée ensemble, il m’a demandé si cela m’intéresserait. J’étais d’accord, et une fois le financement obtenu, il m’a rappelé, et je l’ai fait… »

Les références

« Lors de nos premières discussions, Ryan m’a donné des références. C’était comique, parce qu’il en prenait même dans mon parcours: il me citait des trucs de Enter the Void, d’Innocence et d’autres films que j’avais faits, où il avait repéré diverses choses, qu’il ne tenait pas nécessairement à recréer, mais il y avait un univers qui lui plaisait. Après, il m’a parlé de photos, mais c’est venu plus tard. A la lecture du scénario, j’ai pensé à Bill Henson, un photographe dont j’aime beaucoup le travail. Il fait des photos avec de longues pauses, la nuit, et je lui ai suggéré d’exploiter cet univers-là. Ryan a adoré l’idée, et on a essayé de partir dans ce genre d’orientation. »

Un film en 35mm

« J’essaye de me battre pour tourner encore en pellicule pour une raison évidente: à l’heure actuelle, c’est meilleur que le digital. Mais cela devient difficile à argumenter aux yeux des producteurs, curieusement moins pour une raison de prix que de facilité. Avant qu’on se rencontre, Ryan s’était acheté une caméra digitale avec laquelle il pensait tourner le film. J’ai argumenté le pour et le contre, non que le digital soit mauvais, mais l’approche est différente. On a finalement tourné en film, mais il avait quand même son Epic sur le plateau, et on s’en servait comme petite caméra pour monter des plans. Je reviens de Los Angeles où j’ai fait les étalonnages, et la majorité du film est en 35mm, avec de temps en temps un plan Epic. Ryan m’a dit: « Benoît, je ne te remercierai jamais assez de m’avoir poussé à tourner en film, c’est tellement plus beau. » Pour moi, il y a un côté organique que l’on ne retrouve pas en digital. Il y a une texture, du grain, les peaux sont jolies et les couleurs, belles. »

Detroit

« Detroit m’a complètement halluciné. C’est magnifique et intense. Au premier abord, j’ai eu l’impression qu’il y avait eu une attaque nucléaire, et que tout le monde était parti. La ville était presque intacte, mais vide. Il y a des rues entières de petites maisons ouvrières où il reste dix maisons: il y en a une d’habitée, trois de brûlées, et les autres sont abandonnées, c’est hallucinant. Et le centre-ville, qui était un genre de pré-New York, avec des tours, est à l’abandon également. J’allais souvent me promener, le week-end, dans cette cité fantôme. Il n’y a absolument personne, et visuellement, pour un cinéaste, c’est incroyable. Je crois que c’est la ville la plus dangereuse des Etats-Unis, et j’essayais de ne pas me balader seul, mais curieusement, je n’ai jamais eu de sentiment d’insécurité ni d’inconfort, tant c’était fascinant. Je sillonnais la ville en voiture, et je prenais des photos… »

J.F. PL.

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