Libido sciendi

Dans leur collection Borderline, les éditions du Murmure explorent avec gourmandise tous les savoirs scabreux, bizarres, interdits. Des anti-Que sais-je?

Ils sont jaune et rose. Leur couverture, barrée d’une sorte de déchirure, rappelle Never Mind the Bollocks des Sex Pistols. Avant même qu’on les ouvre, les petits livres de la collection Borderline des éditions du Murmure sortent l’artillerie: ici, ça va causer gras, méchant, visqueux et sans doute un peu pervers. De fait, depuis une dizaine d’années, autour d’une horde sauvage d’auteurs amateurs de sujets que d’autres préfèrent regarder de haut ou en se pinçant le nez, les ouvrages de la collection ont accompli un remarquable défrichage de toutes les formes marginales de représentation du désir, de la violence ou de la mort. D’ Esthétique de l’éjaculation d’Antonio Dominguez Leiva (le plus prolixe des auteurs maison) à L’Adolescente japonaise du cinéphile fétichiste Stéphane du Mesnildot, de L’Écorchement de Christine Bergé à l’essai de Samuel Archibald sur Grand Theft Auto, ils ont pris place dans la bibliothèque des amateurs de pop culture au même titre que les ouvrages consignés autrefois en Enfer. Pourtant, derrière cette dimension de cabinet de curiosités tordues se cache une entreprise bien plus ambitieuse: celle d’interroger par l’exemple la manière dont se construit le savoir dans nos sociétés. Là où l’érudition traditionnelle tente de laisser de côté la libido sciendi (le désir de connaître) au profit d’une sorte de neutralité un peu hypocrite, les auteurs de Borderline ont en commun de remettre la question du désir au coeur de ce vers quoi nous oriente notre curiosité plus ou moins bien placée.

Exploration du weird

Les nouveaux volumes qui paraissent dans la collection ces jours-ci en offrent à nouveau une magnifique illustration. Ils s’appellent Momies de Catherine Delestre, Pornologie de Sébastien Hubier (autre pilier de la collection), Berghain de Guillaume Robin, Les Clowns maléfiques d’Antonio Dominguez Leiva ou Bouddhisme & Rock de Romain Ducret. En feuilletant leurs pages, on n’y apprend pas seulement une foule d’informations méticuleuses, mais on fait surtout l’expérience d’un regard de savant obsédé, qui n’hésite pas à payer de sa personne dans l’exploration du weird. La palme revient à Guillaume Robin, dont le voyage ethnographique dans l’antre berlinois du Berghain, légende des week-ends moites et drogués, n’évite pas les scènes classées X -qui font partie de la fréquentation de la boîte. Mais c’est aussi le cas des autres auteurs (et autrice), pour qui l’entreprise du savoir doit toujours mêler quelque chose de vivant, d’existentiel, voire même de mortel, à la simple recherche. Lorsque le vieux Sigmund Freud avait découvert à quel point l’union compliquée d’éros et Thanatos présidait à tous les aspects de nos vies, il avait tout de même tenté d’en préserver la science. Les Borderline, eux, franchissent allègrement le pas, pour notre plus grand plaisir.

Borderline

Éditions du Murmure.

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