Les Suicidés du bout du monde

Dans la province de Santa Cruz, en Patagonie, Las Heras est une petite bourgade d’abord lainière, puis agitée par la fièvre pétrolière dès les années 60. Au début des années 90, avec la privatisation de la société d’extraction, la ville tombe dans un déclin poisseux, se désertifiant aussi vite qu’elle s’était peuplée. Elle connaît alors une vague de suicides sans précédent, en particulier chez les jeunes, privés de perspectives. Figure majeure du journalisme littéraire sud-américain, Leila Guerriero réalise une enquête de terrain aussi minutieuse que douloureuse, plusieurs années après le premier suicide. Dans ce patelin où  » nombreux (sont ceux) à vouloir devenir quelqu’un, comme si eux là, n’étaient personne, n’étaient rien« , elle recueille la parole des affectés, les leftovers. L’écho avec la série de Damon Lindelof fait sens: entre rumeurs de culte ou adoption de la religion pour canaliser leur douleur incontrôlable, les habitants de cette ville fantôme ne savent plus à quel saint se vouer. Comme chez Jesmyn Ward ( Les Moissons funèbres), il s’agit moins pour l’autrice d’être en mesure de trouver une cause ou une solution à ces décès endémiques; son récit permet plutôt d’enfin accorder de l’espace symbolique à ceux qui ont décidé d’en finir mais aussi à ceux qui continuent à vivre avec ces pertes, dans la société brutale et inégalitaire qui les a générées. Ce livre creuse de façon incisive un puits chez le lecteur et constitue une preuve que la non fiction a aussi sa place ailleurs que dans le monde anglo-saxon.

De Leila Guerriero, éditions Rivages, traduit de l’espagnol (Argentine) par Maïra Muchnik, 218 pages.

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