HASARD DE L’ÉDITION: 3 GROS BOUQUINS PASSIONNANTS SUR LES SÉRIES TÉLÉ SORTENT AU MÊME MOMENT. PREUVE S’IL EN ÉTAIT BESOIN QUE LE GENRE N’EST PLUS INFRÉQUENTABLE AUX YEUX DES INTELLECTUELS ET DES AUTEURS. PARMI EUX, CHARLOTTE BLUM PUBLIE SÉRIES – UNE ADDICTION PLANÉTAIRE.

Un beau livre sur les séries. Comme il en existe des milliers sur le cinéma, les arts plastiques, la BD et même les jeux vidéo. Et comme il n’y en avait aucun consacré à la fiction télé. Un ouvrage richement illustré, qui prend son sujet au sérieux et lui propose un écrin digne de sa créativité. Une initiative évidente, mais pourtant inédite. Charlotte Blum, ex-rédactrice en chef de Séries Inside publie cet objet rare, foisonnant d’anecdotes et d’interviews, s’inscrivant dans une démarche plus analytique que critique.

La rumeur court depuis quelques mois: les séries télé se seraient essoufflées…

J’entends souvent cela aussi mais je ne suis absolument pas d’accord. Justement, cette rentrée est formidable. L’année dernière, j’étais déçue par tout ce que je regardais, mais aujourd’hui, il y a des suites extraordinaires, Breaking Bad et Sons of Anarchy en tête. Ainsi que des nouveautés intéressantes, comme American Horror Story, qui aurait figuré dans mon livre si on ne l’avait pas bouclé si tôt.

Effectivement, dans les années 2004-2005, il y a eu un élan, mais maintenant on est en phase de stabilisation. Les chaînes sont en train d’asseoir ce qu’elles ont créé. Il n’y a plus cette accélération et c’est tant mieux, sinon la qualité des productions en pâtirait. Mais on ne peut pas parler d’essoufflement, loin de là. La créativité dans ce domaine est énorme, ce n’est pas pour rien qu’il attire à ce point les stars du cinéma. Celles-ci viennent de plus en plus vers la télé parce qu’on leur y donne les moyens et surtout le temps. Ce sont des gens qui ont envie de s’exprimer sur un nombre d’heures immense par rapport à des petits films de 2 h au cadre restreint, aux sujets imposés. Grâce à eux, l’année prochaine, je crois qu’on va se prendre de grosses claques.

Certains estiment que le phénomène n’en est plus un, qu’on ne parle plus de séries à la machine à café…

Une fois encore, c’est faux. A moi, tout le monde ne me parle plus que de ça. La presse télé fait ses couv’ sur les séries et plus sur Dechavanne et Cie. Les grands quotidiens sont à fond dedans. La preuve que ça se développe encore plus c’est qu’aujourd’hui on peut parler de séries avec nos parents, nos grands-parents.

Je n’ai jamais réussi à partager la musique que j’écoutais avec mes cousins de province, par contre, les séries, ça nous rassemble. C’est le dernier bastion de la culture populaire, qui ne reste pas dans ce qu’on appelle péjorativement « populaire », qui aide à élever. Même chez House, qui est regardée par énormément de monde, il y a un vocabulaire particulier, des personnages pas forcément évidents à cerner… C’est quelque chose qu’on n’aurait jamais vu jadis en prime sur des chaînes hertziennes, ça continue à ouvrir des portes, à casser des barrières.

A propos de portes, celles que vous avez poussées pour ce long travail portant essentiellement sur les séries américaines se sont-elles ouvertes facilement?

Pas vraiment. Il y a une vraie différence de culture professionnelle entre l’Europe et les Etats-Unis. J’ai sonné 155 fois aux mêmes portes et on ne m’a jamais ouvert, alors j’ai dû passer directement par les agents des acteurs et des professionnels et là, les réponses étaient immédiates. Un mec comme Tom Fontana ( Showrunner star de Oz , notamment, ndlr), qui travaillait sur Borgia, m’a ainsi téléphoné la semaine suivante depuis le plateau de tournage. Il s’est posé 30 minutes pour me parler d’une série qui a plus de 10 ans, qu’il ne doit plus vendre mais qui est son chef-d’£uvre et qui restera dans la mémoire collective. Avec les Américains, pour obtenir ce qu’on veut, il faut frapper directement à leur porte. La promo, ils l’assurent seulement quand ils sont diffusés, l’avant, l’après, ils s’en fichent. Nous, on n’a pas fait un livre dans l’actualité ni dans le scoop, on s’est replongés plusieurs années en arrière et ça, ça ne les intéressait pas.

Ce livre s’ouvre sur Twin Peaks. Une série fondatrice, à vos yeux?

Absolument, c’était une révolution absolue en termes d’image, de musique (couplée merveilleusement à l’image, même dans les paroles), de multitude de personnages et de profondeur. Comme dans Lost, plus récemment, on a pris le temps, et on s’est autorisé un côté un peu loufoque qu’on ne voyait nulle part dans les années 90. En terme d’£il et de montage, encore aujourd’hui, on voit bien que c’est quelqu’un du cinéma qui est là-derrière. On a quitté la télé de papa avec Twin Peaks, et on a commencé à éduquer le téléspectateur à la complexité. Ça a formé les réalisateurs et le public, ça a fait monter d’un cran tout le monde.

En revanche, le phénomène Mad Men vous a un peu laissée à quai…

Mad Men m’ennuie. Même si je me régale de son aspect visuel. Le personnage de Joan, flamboyant au début, est devenu éteint. Jon Hamm est un comédien monoexpressif. Je m’attendais à être soufflée, parce que ça a été écrit par Matthew Weiner des Soprano. En même temps, un autre mec des Soprano bosse aujourd’hui sur Boardwalk Empire, une série qui m’ennuie tout autant. Peut-être que c’est l’école de l’ennui.

Pourtant, dans cette dernière, il y a Michael Pitt et Steve Buscemi. Le pilote était beau, on sentait qu’il y avait Scorsese là-derrière. Mais très vite, le show s’est embourbé dans la lenteur et la contemplation. J’ai du mal aussi avec les femmes nues sans raison, ça me gonfle. C’est pourtant une vraie tare des séries actuelles. C’est quand même étrange qu’un média qui évolue aussi bien, aussi vite, soit aussi arriéré là-dessus.

Quelles sont les tendances scénaristiques actuelles?

Les créatures peuplent des dizaines de séries: vampires, loups-garous, zombies… On est aussi très bien servis en séries de complots. On voit qu’on est dans une société toujours paranoïaque. Les adaptations de livres marchent également beaucoup. Et évidemment les miniséries. Cela vient du fait qu’on engage des grandes stars du cinéma, comme Kate Winslet, Dustin Hoffman, Meryl Streep… On ne peut pas leur demander un temps fou… La minisérie est un format économique dans lequel on peut se permettre de se payer une star ou 2. Maintenant, ce que j’aimerais, c’est que la tendance aille aux femmes, loin des fourneaux et de tout faire-valoir masculin. l

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