CHRISTIAN PETZOLD ALLIE ARTIFICE ET VÉRITÉ DANS PHOENIX, UN FILM TROUBLANT ET PASSIONNANT SUR UNE SURVIVANTE D’AUSCHWITZ.

Certains artistes s’imposent vite et fort, d’autres sur la longueur, sans trop faire de bruit. A l’exact opposé d’un Xavier Dolan ou d’un Léos Carax, Christian Petzold a mené avec rigueur et pas mal d’humilité un petit bonhomme de chemin qui fait aujourd’hui de lui un des cinéastes européens les plus intéressants. A 54 ans, et avec sept longs métrages à son actif (plus quelques travaux télévisuels de qualité), le natif de Rhénanie du Nord -Westphalie a vu l’attention internationale se porter sur lui suite à l’Ours d’argent du Meilleur réalisateur reçu au Festival de Berlin 2012 pour Barbara. Et, même refusé par Cannes (comme avant lui le génial Une séparation d’Asghar Farhadi…), son nouveau film Phoenix (lire critique page 22) voyage lui aussi très bien. Cette plongée dans le Berlin de l’immédiat après-guerre, sur les pas d’une survivante d’Auschwitz, est une oeuvre risquée, prenante, offrant un nouveau grand rôle à la comédienne fétiche de Petzold, Nina Hoss. Comme tous les bons films évoquant un passé historique, il nous parle également au présent, selon son réalisateur: « Ce présent où les nantis méprisent les pauvres, où ceux qui ont peu craignent ceux qui n’ont rien, et où l’on déteste de nouveau les Juifs, comme toujours en période de crise…  »

« Il y a toujours beaucoup de fantômes en Allemagne, poursuit-il. Ils sont bien présents sous la surface de cette obsession du travail, de l’enrichissement, de l’épargne, qui a saisi le pays au moment de se relever de la défaite. Un de ces fantômes est bien sûr celui du nazisme, du génocide. En faisant Phoenix, j’ai parfois eu l’impression de tourner un film de hantise… Et j’avais eu la même impression avec Barbara, le fantôme étant dans ce cas-là celui du communisme, de l’utopie collectiviste… On peut tenter d’oblitérer l’Histoire, d’oublier ce qui n’est plus. Mais les fantômes ont la vie dure! »

Nelly, la rescapée des camps marchant dans le Berlin en ruine de Phoenix, « personne ne lui parle, personne ne semble même la remarquer, elle est comme un esprit. » « Mais le cinéma sait accueillir les fantômes, il sait les regarder et nous les faire voir, reprend Petzold. Les meilleurs films sont presque tous des films de fantômes, même l’admirable western The Searchers de John Ford: le personnage de John Wayne n’y est-il pas une sorte d’esprit, qui a survécu à la guerre de Sécession et qui erre sans plus savoir où aller… ? Et les personnages de The Deer Hunter ne sont-ils pas les revenants d’une guerre perdue, celle du Vietnam? »

Le cinéaste allemand place une survivante du camp d’extermination au coeur de son film. Mais jamais il n’aurait filmé l’usine de la mort dont elle a réchappé. « On ne peut pas filmer Auschwitz car il faudrait alors recréer pour la caméra, de manière fictionnelle, l’innommable qui s’y est produit. Et cela, on n’en a moralement pas le droit!« , clame celui qui dans la violente controverse opposant le documentariste de Shoah Claude Lanzmann à Steven Spielberg au moment de Schindler’s List, partageait l’opinion du premier.

« 99 % des films historiques en Allemagne sont pédagogiques, et je hais le cinéma pédagogique -celui qui sait ce qui est bien ou mal, celui qui dit au spectateur ce qu’il doit penser, poursuit Petzold. Voir un film est une expérience à vivre, une source potentielle d’émotions et aussi de questions. » Personne ne pouvait mieux incarner cette réalité que Nina Hoss, « elle qui aime le naturalisme, elle qui ne cesse de travailler sur l’identification, de faire de son visage, de sa peau, de sa sueur, de sa respiration, les instruments vivants de son art« . Avec elle, il était possible « d’oser l’artifice du mélodrame, des décors oniriques à la Franju des Yeux sans visage, parce qu’au milieu de tout ça, au milieu de cette réalité constamment mise en doute, il y aurait quelqu’un d’absolument vrai! »

Devoir de mémoire

Christian Petzold dédie Phoenix à Fritz Bauer, le procureur (juif et homosexuel) allemand qui fit aboutir, dans une désapprobation à peu près générale des autorités -y compris judiciaires-, les poursuites contre des gardiens d’Auschwitz au début des années 60(1). L’homme qui permit aussi au Mossad de retrouver Adolf Eichmann en Argentine où il s’était réfugié. « Je suis convaincu que sa mort n’était pas un accident (Fritz Bauer fut retrouvé noyé dans sa baignoire le 1er juillet 1968, ndlr) mais un assassinat« , commente un cinéaste qui rappelle la phrase d’Hannah Arendt: « Auschwitz ne nous serait jamais pardonné, à nous, les Allemands. » Un « jamais » auquel son film fait écho à travers « l’impossibilité pour l’héroïne de remonter le temps, de revenir en arrière et de redonner à son amour une seconde chance…  »

Phoenix fait le constat de cette impossibilité, tout en s’attachant à cette jeune femme « qui essaie quand même« . « Le film est avec elle, il épouse son point de vue, il tente de rêver avec elle à une réinvention qui permettrait d’oublier… et il partage en définitive le bilan lucide qu’elle tire de l’échec de ses tentatives. Ce qui est fait est fait. Nelly n’oubliera jamais. Nous non plus. »

(1) UNE HISTOIRE ÉVOQUÉE DANS IM LABYRINTH DES SCHWEIGENS, UN FILM QUI SORTIRA CETTE ANNÉE EN BELGIQUE.

RENCONTRE Louis Danvers

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