RINCÉS PAR DES ANNÉES D’AUTOPRODUCTION, LES FRANÇAIS D’ODEZENNE SONT PASSÉS TOUT PRÈS DU KO. PARTIS À BERLIN POUR SE RESSOURCER, ILS EN REVIENNENT AVEC UN ALBUM, ET UNE NOUVELLE LIBERTÉ.

La fatigue se lit à peine sur le visage des trois interviewés. Les derniers jours ont pourtant été agités pour Jaco, Alix et Mattia, soit le groupe Odezenne (les deux premiers y tiennent le micro, le dernier les machines). La veille, ils ont encore fait le trajet Bordeaux-Paris en camion pour livrer, eux-mêmes, directement au stock d’une grande chaîne culturelle, les 5000 éditions limitées de leur dernier album, Dolziger Str. 2. Odezenne ou l’art de la débrouille…

L’éthique Do it Yourself (DIY) a toujours fait partie de l’ADN des Bordelais. D’abord par commodité –« comme c’est le cas pour 90 % des groupes qui ne tapent pas dans l’oeil d’un chef de projet à la première démo », dixit Alix; a fortiori quand on se lance dans le rap indie et ovni, loin des « players » classiques. Ensuite par conviction, le DIY devenant la garantie de leur indépendance. Dès le départ, pour son tout premier album Sans chantilly, en 2008, Odezenne a ainsi créé sa propre structure. Dans les années 90, Noir Désir, aîné rock issu de la même ville, parlait d' »Univers sale » -pour désigner la major (dont il faisait partie, via la branche Barclay). Une décennie plus tard, Odezenne a baptisé, lui, son label Universeul… Même esprit, autre accent.

Petit à petit, le trio s’est ainsi fait un nom. L’an dernier, il sortait encore un EP, Rien, qui donnait déjà un indice sur les nouvelles pistes musicales empruntées. Il se lançait également le défi de remplir l’Olympia pour un soir, sans support ni promotion. Pari réussi. En mars, il y faisait salle comble…

Bromance à Berlin

L’indépendance a toutefois un coût. A force d’être au four et au moulin, Odezenne a pu en effet s’épuiser… Quand, il y a deux ans, ils entament la composition du nouvel album, la machine est grippée. Le trio retourne d’abord là où il a enregistré le disque précédent. Mattia: « Après trois semaines, on avait testé toutes les recettes de crêpes et de pain perdu possibles, mais on n’avait toujours rien. On commençait à déprimer. » Ils décident alors de changer d’air, et d’aller voir du côté de Berlin. Les trois Français débarquent avec leur sac de couchage, dorment au milieu des machines du studio. « On y a passé les quinze premiers jours. L’endroit était situé au-dessus d’un club, le Subland (rebaptisé Void Club entre-temps, NDLR). Quand on est arrivés, c’était le début d’un festival de breakcore de quatre jours. L’enfer (rires)! On venait de se taper 1800 bornes en camionnette, et on n’arrivait pas à dormir. » Au bout d’une semaine, c’est toujours l’impasse. Alix: « Au début, on ne se parlait pas beaucoup. Personnellement, je commençais à croire qu’Odezenne, c’était fini. Je pensais ne plus réussir à écrire quoi que ce soit ni même avoir jamais su. C’était une grosse remise en question. Du coup, chacun est parti un peu de son côté. Moi, je traînais pas mal dans les bars: le matin, je buvais du thé pour me réchauffer, et dès 18 h, je passais au whisky. J’essayais d’écrire une nouvelle. J’avais besoin de ça. »

Le point de rupture est proche. La relation fusionnelle- fraternelle vacille. « Et puis, un soir, on s’est engueulés, explique Jaco. On a réussi à se dire une série de choses. » Dans la foulée, ils trouvent aussi l’étincelle musicale, décident de pousser plus loin les dernières ouvertures, de laisser tomber les derniers masques. Jaco, encore: « Quand tu bosses vraiment, tu n’as plus le temps de travailler ton attitude. Si c’est un luxe? Non, je pense que l’attitude est une faute. Au fil du temps, on en a enlevé beaucoup. Aujourd’hui, elle a complètement disparu. » C’est en effet l’une des principales qualités de Dolziger Str. 2. Un bateau ivre, à l’humour aussi cru que les constats désenchantés (« on n’aime pas le mec qu’on est devenu », sur Souffle le vent), musicalement difficile à cerner: plus vraiment rap, pas tout à fait électro ni pop ou new wave, mais un peu tout ça à la fois.

Entre-temps, les grosses majors -y compris… Universal- ont déboulé. « Mais elles savaient à qui elles avaient affaire, rigole Alix. Aucune ne nous a proposé de contrat d’artiste, seulement des licences. » Odezenne a fini par trouver refuge chez l’indépendant Tôt ou Tard. « Mais on a gardé le même tourneur, et on bosse toujours avec quelqu’un comme Max, qui était déjà notre attaché de presse sur Sans chantilly. »

Depuis deux ans, ils ont aussi lâché leur boulot. Pas leur mentalité d’artisans jusqu’au-boutistes, obstinément intègres. Sur la pochette de Dolziger Str. 2, un simple losange. « C’est un code entre cambrioleurs pour signaler qu’une maison est inoccupée, que la voie est libre en quelque sorte », explique Alix. L’histoire colle bien à celle d’un groupe qui est entré un peu par effraction sur la scène musicale française. Si les portes semblent aujourd’hui grandes ouvertes (le groupe a encore fait la une des Inrocks la semaine dernière), il a fallu le plus souvent passer par celle de derrière, en pousser d’autres, voire en défoncer certaines. Parfois littéralement: dans l’édition limitée de l’album, livrée la veille, Odezenne a glissé un bout de la porte du studio berlinois où a été enregistré le disque. Jaco: « En fait, chaque album est emballé dans un grand drapeau de 1,20 mètre de côté, replié en douze, et que l’on a glissé dans une pochette scellée, sous vide, avec un bout de la porte du studio. Un boulot de fou. » Alix continue: « On a passé tout le week-end à faire ça. On travaillait à la chaîne, au bureau, à une dizaine en moyenne, pendant 15 à 20 heures par jour. Des fans sont même venus nous aider. » Une seule porte n’a d’ailleurs pas suffi. Il a fallu aller en chouraver une deuxième. « Le proprio n’est toujours pas au courant. » Plus pour très longtemps.

ODEZENNE, DOLZINGER STR. 2, CHEZ TÔT OU TARD/PIAS.

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EN CONCERT LE 19/11, AU BOTANIQUE, BRUXELLES.

RENCONTRE Laurent Hoebrechts

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