LE RÈGNE DES SÉRIES INTERMINABLES SEMBLE ENFIN PRENDRE FIN. LE PUBLIC ET LA CRITIQUE ACCLAMENT LES FICTIONS DITES « D’ANTHOLOGIE », QUI BOUCLENT RAPIDEMENT LEURS INTRIGUES. LA PREUVE PAR DEUX: TRUE DETECTIVE ET FARGO.

Les plus courtes sont-elles toujours les meilleures? Affirmatif, si l’on en croit la tendance émergente des séries anglo-saxonnes: l’anthologie. Rien à voir avec un quelconque coffret collector de l’oeuvre complète de Mort Shuman: l’anthologie, en télévision, c’est lorsqu’on ose boucler la boucle là où d’autres font chanter le tiroir-caisse jusqu’à ce qu’on leur jette des tomates pour les éjecter de l’écran (Desperate Housewives, Grey’s Anatomy, Prison Break…).

Concrètement, une anthologie est une série dont chaque saison (voire chaque épisode comme pour la formidable Black Mirror (1)) connaît un tomber de rideau. Qui moissonne à la fin les réponses aux questions qu’elle a posées. Et qui, si elle joue les prolongations, rebat les cartes. Comme Alfred Hitchcock présente, en son temps. Comme American Horror Story (FX), aujourd’hui. Et surtout comme True Detective (2), qui a remis cet hiver HBO sur l’orbite des pourvoyeurs de séries haut de gamme -non, Game of Thrones ça ne compte pas.

Durant huit épisodes mêlant mysticisme profane, bayous spongieux, gueules cassées et amitié contrariée, Woody Harrelson et Matthew McConaughey menaient l’enquête sur le meurtre rituel d’une prostituée coiffée de bois de cerf aux ramifications aussi multiples que le récit. Surprise: à la fin, on apprenait qui avait tué qui et pourquoi, merci bonsoir. L’anti-Lost, donc, qui avait baladé ses fans pendant 121 épisodes au terme desquels il était apparu évident que, contrairement à ce qu’ils promettaient à la communauté, les scénaristes n’avaient aucune espèce d’idée d’où ils l’emmenaient.

True Detective reviendra pour une deuxième saison, c’est certain, mais en faisant table rase. Exit Woody et Matthew -il se murmure, entre autres rumeurs, que Brad Pitt pourrait tenir le haut de l’affiche. Out la Louisiane, la Californie servirait cette fois de décor. Et trois personnages plutôt que deux se tailleront la part du lion. Tournage prévu cet automne.

Poules sans tête

Autre série très remarquée à avoir opté pour le format anthologique: Fargo, sur FX, tirée du film éponyme des frères Coen. Diffusée aux Etats-Unis depuis le 15 avril, elle séduit d’autant plus la critique que, sur papier, l’entreprise pouvait paraître sacrément glissante. Il semblait difficile voire impossible que l’élève ne fasse pas pâle figure face au maître, et que l’ersatz n’ait un goût d’original dilué. Surtout que les frères ne s’en occupaient que de loin, dans un vague poste de producteurs exécutifs, et que l’artisan principal du Fargo de FX n’était autre que Noah Hawley, l’homme derrière la très moyenne série Bones.

A l’autopsie toutefois, les petits meurtres entre ennemis du Minnesota enneigé sont d’une saveur folle, alliant humour noir et étrangeté glaçante. Les performances de Martin Freeman (Sherlock, The Hobbit…), Allison Tolman (inconnue au bataillon, révélée magistralement ici) et Billy Bob Thornton ne sont évidemment pas étrangères à cette réussite, mais l’héroïne, la vraie, c’est l’intrigue. Ciselée, enluminée mais précise, du vrai cinéma pour la télé. Au bout de dix giclées, Fargo prendra fin, et c’est très bien.

Les amateurs de bonnes séries ont en effet troqué le plaisir de l’attachement sur la longueur à une ribambelle de personnages contre celui d’un arc narratif fulgurant, dont les promesses sont tenues jusqu’à la dernière seconde. Là où jadis les auteurs collaient au plus près des attentes du public en scrutant les forums et en rectifiant le tir au besoin, aujourd’hui le téléspectateur est suffisamment mature pour lâcher la bride et laisser la bête le conduire. La plupart des séries d’anthologie sont d’ailleurs tournées et fignolées avant diffusion -quand bien même l’audience aurait envie de se faire entendre, elle n’aurait de toute façon pas de prise sur ce qu’elle regarde.

A l’heure où la plupart des productions télé courent comme des poules sans tête derrière ce qu’elles croient deviner des envies du public, se muant en marionnettes de producteurs au service du grand capital, la nouvelle donne s’avère furieusement réjouissante. Et pas que pour le téléspectateur exigeant: les chaînes de télé prennent moins de risques financiers avec ces formats courts, et sont donc plus enclines à multiplier les commandes, tandis que les producteurs peuvent s’adjuger les services de noms ronflants qui ne voudraient pas nécessairement s’enchaîner à un projet récurrent.

La durée réduite de Fargo était une condition sine qua non pour que Martin Freeman accepte d’en être. « La raison pour laquelle je n’ai jamais tourné un pilote de série classique, même quand j’étais plus jeune, et pour laquelle ça ne me tente pas non plus aujourd’hui, est l’idée de signer un morceau de papier qui me lie pour six ou sept ans« , a expliqué l’acteur britannique à Entertainment Weekly. Espérons alors que les appels d’offre récents de la RTBF (dix épisodes bouclés) percoleront jusqu’à lui.

?(1) BLACK MIRROR – PROJECTION LE VENDREDI 30 MAI DANS LE CADRE DU FESTIVAL ARE YOU SERIES?

? (2) TRUE DETECTIVE – PROJECTION EN FORME DE BINGE SCREENING LE SAMEDI 31 MAI À 19 H DANS LE CADRE DU FESTIVAL ARE YOU SERIES?

TEXTE Myriam Leroy

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