DANS WILD TALES, COMÉDIE À SKETCHES DÉCAPANTE, LE RÉALISATEUR ARGENTIN DAMIAN SZIFRON DRESSE LE PORTRAIT ACIDE DE SES CONTEMPORAINS. RÉJOUISSANT.

Invité surprise de la dernière compétition cannoise, Wild Tales, le troisième long métrage du réalisateur argentin Damian Szifron, y a fait l’effet d’une petite bombe. L’auteur y dépeint, en six tableaux successifs, le portrait d’une humanité sous pression, pour une comédie noire érigeant bientôt le pétage de plombs en principe jouissif -peut-être plus encore parce que Les Nouveaux Sauvages dont fait état le titre français du film nous sont définitivement fort proches. « L’accueil du film a largement dépassé mes espoirs, commente Szifron au lendemain d’une projection euphorique. Je pense que ce film touche à quelque chose parlant à tout le monde, même à des gens venus d’horizons très différents. » Et d’apprécier: « Le public a eu une réaction presque épidermique. Sans qu’il y ait là rien de solennel, je pense que certains films touchent aux aspects les plus profonds de la nature humaine. Et notamment des choses aussi simples et basiques que le désir de se défendre ou de défendre sa place. Ce film rentre dans une catégorie qu’un théoricien du scénario a baptisée « le monstre dans la maison », un genre très populaire parce qu’il fait ressortir nos instincts les plus primitifs. Nous descendons du singe et d’autres espèces animales, et après tout, chacun veut défendre son territoire, tout le monde peut comprendre ce sentiment… »

Passé un prologue aérien mettant magistralement en scène l’adage voulant que la vengeance soit un plat qui se mange froid, le générique défile d’ailleurs sur des plans d’animaux divers, histoire de baliser le propos. A la suite, le film multiplie les analogies comportementales, à l’image de ces deux automobilistes entraînés dans un crescendo absurde de violence –« quand deux chiens se croisent, ils vont se mettre à aboyer parce qu’ils veulent se battre ». Mais puisqu’il y est question d’humains après tout, nouveaux monstres rendus à leur sauvagerie, l’auteur veille également à y injecter ce qu’il faut d’humour: « Le rire est peut-être la meilleure réaction à l’angoisse », observe le réalisateur.

Szifron, comme Spider-Man

Dans sa note d’intentions, Damian Szifron explique encore penser souvent « à notre société occidentale et capitaliste comme à une sorte de cage transparente qui amenuise notre sensibilité et dénature nos rapports. Wild Tales opère sur un ensemble d’individus qui vivent dans cette cage tout en ignorant son existence. Mais là où n’importe qui déprime ou tente de se maîtriser, eux passent à l’action. » Outre sa dimension cathartique, le film trouve là une perspective critique qui fait aussi son prix. Quant à sa forme, l’auteur-réalisateur l’a arrêtée au détour d’un autre projet. « J’en suis venu à ce scénario parce que je n’arrivais pas à mettre le point final à un film pour lequel j’avais réuni tellement de matériel qu’il allait devenir un monstre incontrôlable. Cette mécanique s’appuyant sur de courtes histoires s’est révélée fort libératrice. J’ai écrit l’une de ces histoires en une nuit, au départ de ce que j’avais pu observer. J’ai eu la même révélation que Spider-Man, lorsqu’il réalise avoir ce pouvoir dans ses mains. Pour ma part, j’ai découvert que j’étais capable de créer une histoire avec beaucoup de plaisir et de liberté. J’ai imaginé une histoire un jour, une autre le lendemain, et bientôt, j’avais écrit un film presque sans m’en apercevoir. » L’agencement des histoires, qui contribue à faire de Wild Tales le digne rejeton des films à sketches italiens de la grande époque, ne doit pour sa part rien au hasard: « L’ordre de passage était fort important. L’épisode de l’avion devait se trouver au début, parce qu’il donne le ton, et présente le climat d’ensemble, indiquant que tout est possible dans ce film, c’est le délire. L’épisode du restaurant, et celui des deux types sur la route, devaient suivre pour souligner que, s’il s’agit d’histoires indépendantes, sans connexions directes, elles partagent une même énergie… » La suite, elle, oscille entre oppression et libération, jusqu’à un final paroxystique –« après l’orgasme, on ne peut pas continuer », sourit Szifron.

Un Szifron à qui l’on demande, avant de prendre congé, de rapporter son expérience la plus « sauvage »: « Je n’en ai guère vécues. J’ai été impliqué une fois, en 2001 ou 2002, dans une bagarre dans un café. Le cuisinier et le garçon voulaient nous faire partir, alors que nous avions à peine ouvert une bouteille de vin et que le repas était encore chaud. La discussion a dégénéré en baston, la police a dû intervenir, il y avait du sang partout. C’est quelque chose qui ne me correspondait pas du tout, je suis plutôt lâche, mais au moment d’aller me coucher, j’ai bien dû reconnaître y avoir pris du plaisir. Je suis passé par ce moment de jouissance que connaissent les personnages de mon film en perdant le contrôle. Mais je ne vous recommande pas pour autant d’aller vous bagarrer… « 

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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