NOMBREUX SONT LES RÉALISATEURS ATTIRÉS PAR LA MISE EN SCÈNE D’OPÉRA. CERTAINS Y ONT BRILLÉ, D’AUTRES S’Y SONT CASSÉ LES DENTS.

Très vite, dans l’Histoire du cinéma, les chemins du 7e art et de l’opéra se sont croisés. De manière surprenante, voire carrément improbable d’abord, puisque les toutes premières bobines consacrées aux stars du lyrique étaient évidemment dépourvues de son, et que le piano d’accompagnement prévu dans les salles pouvait reproduire l’air, mais pas la voix! George Méliès fut le premier à exprimer de manière créative son amour du lyrique, décrivant notamment son mythique Voyage dans la lune de 1902 comme un « opéra-féérie »… Plus d’un siècle s’est écoulé et depuis, quelques grands réalisateurs ont filmé des opéras célèbres, tels Ingmar Bergman avec La Flûte enchantée (1975) et Joseph Losey avec Don Giovanni (1979). Deux triomphes de Mozart, qui allait aussi se voir consacrer un grand film, l’ Amadeus de Milos Forman (1984). L’opéra s’est-il gagné une nouvelle popularité, suite à son exposition à un vaste public? Il s’est en tout cas créé un lien avec le grand écran, par la voie d’£uvres unifiant les deux arts mais aussi par celle d’initiatives récentes. On se presse aujourd’hui aux séances spéciales organisées par les grands groupes UGC (« Viva l’opéra! ») et Kinepolis (« L’opéra au cinéma ») autour de productions des meilleures « maisons » internationales et des chanteurs stars! Mais un des aspects les plus passionnants des noces parfois compliquées entre opéra et cinéma est le passage, de plus en plus fréquent, de réalisateurs à la mise en scène de spectacles lyriques.

Temps libre, temps captif

Parfois nées d’un désir fervent de l’artiste, souvent provoquées par une commande d’un directeur artistique ou d’un programmateur de festival, les productions d’opéra confiées à des cinéastes ne sont désormais plus des événements exceptionnels. On peut même, parfois, penser qu’ils relèvent d’une logique médiatique, promotionnelle, de la part des commanditaires, et/ou d’un « ego trip » de la part de l’homme ou de la femme d’images invité(e) à diriger les chanteurs sur la scène… L’insignifiance du récent Cosi fan tutte mollement revu par Abbas Kiarostami en est un exemple navrant. Et les nombreux refus de Woody Allen, pourtant grand amateur d’opéra, de céder aux sirènes cherchant à l’attirer vers Mozart, se comprennent fort bien, le cinéaste acceptant finalement de mettre en scène une £uvre peu connue de Puccini, Gianni Schicchi, où son génie comique put se déchaîner bien plus librement. On se rappelle, à Bruxelles, le doute généré par la vision du Pelléas et Mélisande donné à la Monnaie par André Delvaux. Un excellent cinéaste ne fait pas forcément un as de l’opéra… Il est patent, à ce sujet, que la plupart des réussites viennent de réalisateurs ayant déjà pratiqué la mise en scène de théâtre. Comme ce fut jadis le cas de Bergman, et aujourd’hui celui d’un Michael Haneke, dont la lecture violente et politique de Don Giovanni à l’Opéra Bastille sut créer le choc autant que l’admiration.

Dans le passé, l’Italie a, logiquement, donné le « la ». Si les nombreuses productions de Franco Zeffirelli n’évitèrent pas la grandiloquence et la boursouflure, celles de Luchino Visconti à la Scala de Milan marquent la mémoire dans les années 50, avec en vedette la grande Maria Callas. Dans les années 80, l’Allemagne a pris le relais, Werner Herzog mettant en scène à Bologne avant de gagner le saint des saints wagnérien, Bayreuth, pour un Lohengrin controversé. Werner Schroeter se multipliant pour sa part avec l’excès (parfois génial) qu’on lui connaît aussi à l’écran. La France ne pouvait être trop longtemps en reste, et on a vu Benoît Jacquot ( Werther de Massenet) ou Coline Serreau ( La Chauve-souris de Strauss, Le Barbier de Séville de Rossini) se mêler d’opéra. Une des plus singulières aventures récentes étant celle de David Cronenberg, qui transforma son film The Fly en opéra pour le Théâtre du Chatelet, à Paris, et captiva un public confronté à l’une des plus étranges expériences scéniques jamais conçues. Le temps semblait s’y arrêter. Ce temps qui marque la grande, la souvent insurmontable différence entre cinéma et opéra. Dans le premier, l’artiste « crée » son temps, qui sera celui du spectateur. Dans le second, il est « prisonnier » du temps du compositeur… l

TEXTE LOUIS DANVERS

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