LE PREMIER FILM DU JEUNE CINÉASTE AUTRICHIEN UMUT DAG VA DROIT AU CoeUR, ET RÉVÈLE UN GRAND TALENT SUR UN SUJET DIFFICILE.

En évoquant la tromperie au mariage dont est victime une jeune Turque débarquant à Vienne dans une famille d’origine immigrée crispée sur ses traditions, Umut Dag s’empare d’un sujet on ne peut plus contemporain, et que ses propres origines le préparaient à oser filmer. Dans la lignée d’oeuvres fortes et interpellantes comme Gegen die Wand et Die Fremde, Kuma nous plonge dans la réalité d’une communauté bien intégrée socialement mais dont l’adaptation culturelle n’est pas une évidence, avec des femmes toujours objets, et de nouvelles générations déchirées entre moeurs ancestrales et ouverture à la modernité.

« Des familles comme celle où arrive Ayse, j’en connais, témoigne le jeune réalisateur, la mienne ayant immigré en Europe de l’Ouest voici une bonne trentaine d’années. Les traditions, la manière très forte avec laquelle certaines familles s’y accrochent, ne répondent pas seulement à une pression interne à la famille (on vit pour la famille, par la famille, pas en tant qu’individus), mais aussi à celle émanant de la communauté. On veut pouvoir dire: « Regardez, j’ai les meilleurs enfants, la meilleure famille! » Et tout le monde, tout le temps, porte un masque… » Umut Dag a ressenti, dans ce contexte particulier, « un grand désir de personnage« . Il a voulu raconter Ayse, « plongée sans prévenir dans une situation extrême, où le concept de choix n’est pas même imaginable, puisque l’individu, au féminin surtout, n’est pas censé exister de façon autonome« .

« Je ne suis intéressé que par les choses que je ne comprends pas, poursuit le cinéaste, et ce sont là des choses qu’en effet je ne pouvais arriver à comprendre. J’avais donc envie de creuser le sujet, de chercher à comprendre… sans pour autant vouloir tout expliquer. » De fait, Kuma n’est pas de ces films didactiques, démonstratifs, offrant au spectateur des réponses d’ordre sociologique ou psychologique. « J’aime qu’en quittant la salle, on puisse encore se poser des questions… »

Heureux mélange

Certains s’étonneront sans doute de voir Ayse accepter les choses, au départ. Umut Dag explique à ce propos que « quand vous êtes élevé, éduqué, dans un petit village perdu d’Anatolie, le fait qu’un homme puisse avoir plusieurs épouses n’est pas chose inconnue ni même rare. Par ailleurs, pour sa famille, le fait qu’elle puisse partir pour l’Europe est plus important que le fait qu’elle y soit une seconde épouse. Trouver ça incompréhensible serait de notre part, européens nés libres et vivant libres, tout à la fois une preuve d’ignorance et d’arrogance. Nous devons voir et réaliser que des gens puissent être pauvres, élevés dans un climat religieux et traditionnel qui les amène à trouver normales des choses qui ne le sont pas pour nous! »

La famille du réalisateur « n’était pas aussi conservatrice que celle que vient intégrer l’héroïne du film« , précise-t-il. Les films, vus sur le poste de télévision du salon, furent d’abord pour lui une occasion d’améliorer son allemand. Et ensuite seulement une perspective d’études puis de profession. « J’ai réfléchi à plein de choses que je pourrais vouloir faire dans la vie, mais aucune ne me parlait de manière aussi émotionnelle que le cinéma« , se souvient Umut Dag, qui ajoute avec un grand sourire: « J’avais envie de quelque chose de tellement passionnant que je ne le verrais pas vraiment comme du travail… Même si j’y consacrais 18 heures de ma journée! » L’oeuvre d’Yilmaz Güney (1), celle de Michael Haneke, font partie des influences que se reconnaît Dag… Même si son film préféré, gamin, fut Karate Kid. Un prophète de Jacques Audiard est désormais en tête de son panthéon personnel.

Le réalisateur de Kuma place en priorité, dans son travail, le choix des acteurs, « car vous n’avez, au tournage, jamais assez de temps avec eux pour rectifier un mauvais choix« . Ses -remarquables- interprètes, il les a trouvés durant une opération de casting longue de plus d’un an, et qui l’a mené de Vienne à Istanbul, entre autres. « Rien qu’à Vienne, nous avons auditionné 600 Turcs, tous non-professionnels« , explique-t-il. L’actrice principale, Begüm Akkaya, est une jeune comédienne de métier, venue d’Istanbul. Mais sa famille, à l’exception de la soeur aînée, est jouée par des amateurs. Un mélange réussi, pour un premier film à ne pas manquer!

(1) CINÉASTE TURC D’ORIGINE KURDE, GÜNEY (1937-1984) OBTINT UNE GRANDE RECONNAISSANCE INTERNATIONALE AVEC YOL, PALME D’OR AU FESTIVAL DE CANNES 1982.

RENCONTRE Louis Danvers

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