Les Formes du visible

© BÉNÉDICTE ROSCOT/SEUIL

Qu’est-ce que le poids d’un livre? En manipulant le nouvel opus de Philippe Descola, son premier depuis l’immense chef-d’oeuvre qu’était Par-delà nature et culture (Gallimard, 2005), la question plane, insistante. Car Les Formes du visible est d’abord ça: une ahurissante masse de papier blanc et de caractères noirs, qu’accompagnent des illustrations de toutes sortes. Une masse comme l’édition de langue française a souvent peur d’en faire paraître -craignant peut-être qu’elle n’intimide les lecteurs, de plus en plus friands de livrets s’avalant d’une traite, comme un shot de vodka. Mais cette peur du monumental n’a rien de fondé. Lire Descola, c’est d’abord faire l’épreuve d’une langue, somptueuse et limpide, par la grâce de laquelle il n’est aucune idée qui ne semble tomber juste, à la manière d’un costume taillé de façon impeccable. C’est aussi voyager entre les mondes et les époques, à la rencontre d’objets, de figures ou d’idées que seule son hallucinante érudition serait capable de faire se rencontrer -et de tirer de cette rencontre toutes les conséquences qu’il faut en attendre. Et c’est surtout ouvrir la porte sur un univers de pensée qui remet en cause jusqu’aux mieux ancrées de nos évidences -celles, si tenaces, qu’elles vont jusqu’à décider de ce que nous percevons ou pas autour de nous. Tel est le sujet des Formes du visible: une « anthropologie de la figuration » dans laquelle Descola cartographie l’immense diversité des différentes modalités humaines de la mise en image de ce qui est, et dont ce que nous appelons « art » ne constitue qu’une faible partie, de surcroît fort récente. Passant de l’Amazonie, qui avait été jadis son terrain de recherche, à la Chine de la dynastie Song, de l’Europe de la Renaissance aux masques amérindiens, il livre ainsi une boussole grandiose pour nous apprendre enfin à évoluer dans l’univers des images en laissant de côté les réflexes que nous avons hérités des derniers siècles de fascination européenne à leur égard.

Les Formes du visible

De Philippe Descola, éditions du Seuil, 848 pages.

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