AVEC LA VÉNUS À LA FOURRURE, ADAPTATION DE LA PIÈCE DE DAVID IVES INSPIRÉE PAR LE ROMAN DE SACHER-MASOCH, LE RÉALISATEUR DU LOCATAIRE REVISITE LA GUERRE DES SEXES AVEC UNE APPRÉCIABLEFÉROCITÉ ÉPICÉE D’IRONIE. UN HUIS CLOS RÉSOLUMENT À SA MAIN…

On était, pour tout dire, resté quelque peu dubitatif devant Carnage, précédent opus de Roman Polanski, qui voyait deux couples s’écharper, plutôt vainement, devant une caméra ne faisant rien, ou alors si peu, pour se libérer d’un dispositif théâtral -le film était tiré de la pièce Le Dieu du carnage de Yasmina Reza. De ses origines théâtrales -il s’agit cette fois d’une adaptation de Venus in Fur, de David Ives, dramaturgie inspirée par l’ouvrage éponyme écrit par Leopold von Sacher-Masoch en 1870- à sa structure en huis clos, La Vénus à la fourrure n’est pas sans similitudes avec celui-là. A une nuance près, et non des moindres: la réussite est cette fois au rendez-vous, le réalisateur du Locataire et autre Lunes de fiel semblant ausculter avec quelque délectation la relation ambiguë s’installant entre Thomas Novachek (Mathieu Amalric, en sosie rajeuni du cinéaste), un metteur en scène de théâtre, et Vanda Jordan (Emmanuelle Seigner, madame Polanski à la ville), une actrice impétueuse venue auditionner pour un rôle. Sentiment conforté lors d’un entretien durant lequel Polanski se montrera d’humeur particulièrement enjouée…

Quelle fut l’origine de ce projet?

Tout a commencé l’an dernier ici même, à Cannes, lorsque je suis venu présenter la version restaurée de Tess. Je n’avais pas grand-chose à faire de mes journées, et mon agent, Jeff Berg, m’a remis un scénario dont il m’a assuré que ce serait « my cup of tea ». Je suis monté dans ma chambre du Carlton pour le lire, et ce texte a eu le don de me faire beaucoup rire, tout en me paraissant intéressant. J’ai donc décidé d’essayer d’en faire un film. Après quoi, tout s’est passé très vite, puisque un an plus tard, ce film se retrouve en compétition.

Qu’est-ce qui vous ramène régulièrement vers des situations de huis clos?

Plus que le huis clos, c’est la qualité du matériel qui m’attire, servi qui plus est par d’excellents dialogues, drôles de surcroît. Il y a des années, déjà, que j’avais envie de faire un film avec seulement deux acteurs. Ils n’étaient que trois dans mon premier film, Le couteau dans l’eau, et je m’étais posé comme défi d’essayer un jour de ne faire un film qu’avec deux. J’ai besoin de défis, de m’atteler à quelque chose d’inhabituel et de plus difficile que l’ordinaire. Quand on tourne un film avec deux comédiens dans un théâtre vide, ne pas ennuyer le spectateur et le garder sur le qui-vive, seconde après seconde, tient de la gageure, et c’est ce qui m’a attiré au premier chef. A quoi se sont ajoutés le thème du sexisme et la façon dont il était envisagé, sous la forme d’une satire, chargée d’ironie et même d’une pointe de sarcasme. Et j’aimais bien le côté féministe du texte: l’idée d’une vengeance de Vénus n’était pas pour me déplaire… (rires)

Avez-vous pensé directement à votre femme pour interpréter ce rôle?

Oui, pour plusieurs raisons. Cela faisait longtemps que nous voulions retravailler ensemble, et ce rôle lui allait comme un gant. D’abord en raison du théâtre: elle a grandi dans un environnement théâtral, son grand-père, Louis Seigner, a dirigé la Comédie française, et je la savais capable de le faire. Et puis, elle se comporte un peu comme Vanda Jordan dans la vie, et j’y ai vu une combinaison intéressante. Elle parle comme elle, recourt au même type de langage, c’est quelqu’un qui ne mâche pas ses mots, elle dit ce qu’elle pense. (rires)

Le mimétisme entre vous et Mathieu Amalric, qui joue le metteur en scène, est absolument saisissant…

C’est ce que l’on dit, et je trouve cela amusant. J’ai fait la connaissance de Mathieu par l’entremise de Steven Spielberg, à l’époque où ce dernier tournait Munich, dans lequel il jouait. Steven m’a demandé si je connaissais ce formidable acteur français, et il nous a présentés. A cette occasion, Mathieu m’a dit avoir toujours voulu me rencontrer, parce que les gens le prenaient souvent pour moi. Lorsque je vois les photos du film, je dois bien admettre qu’il me ressemble par moments. Mais ce n’est pas pour cela que je l’ai choisi: il me fallait un bon acteur, qui ait l’âge requis.

L’espace théâtral revêt-il une signification particulière pour vous?

Je connais bien le théâtre pour y avoir débuté, enfant, à Cracovie. J’y ai connu le succès dans un premier rôle, à l’âge de quatorze ans, et du coup, je me suis mis à l’adorer. Je me rendais au théâtre, que l’on ait besoin de moi ou non, j’en connaissais le moindre recoin, et jusqu’à chaque élément de la machinerie. Et par la suite, j’ai monté diverses productions théâtrales. C’est un milieu qui m’est familier, et notamment les périodes de répétition, ou celles où on établit la distribution. Dans la pièce de David Ives, tout se passe dans une salle d’audition, comme on en trouve aux Etats-Unis, à la différence de l’Europe, où les auditions se font souvent sur scène. J’ai immédiatement pensé à transposer l’action dans un théâtre pour les besoins du film: il fallait avoir quelque chose de visuel, changer la relation et l’atmosphère, et un lieu comme celui-là offrait des possibilités fantastiques. Un théâtre dispense de l’atmosphère, et, vide, c’est un cadre à même de vous donner le frisson, soit exactement ce qu’il fallait. Nous avons construit le décor dans un ancien théâtre, fermé depuis longtemps, à l’intérieur duquel nous avons tout reconstruit. Il restait un socle en pente, et les vestiges d’une scène, et Jean Rabasse, le décorateur, a emménagé le décor alentour.

Vous avez évoqué votre souci de ne pas ennuyer le spectateur. Vous arrive-t-il de devoir faire des compromis pour vous y conformer?

Parfois, peut-être. Il arrive que je trouve un plan éloigné fort beau, mais je comprends également que le spectateur trouve fastidieuse l’accumulation de plans de ce type. J’ai beaucoup appris au contact de Sam O’Steen, le monteur de plusieurs de mes films avec qui j’ai commencé à travailler sur Rosemary’s Baby. Il m’a notamment enseigné qu’il fallait parfois laisser tomber le plan qui était sans doute le plus beau s’il ne servait pas vraiment le film. Il est difficile de s’y résoudre, parce qu’on y consacre beaucoup de temps, pour un résultat pouvant procurer une émotion profonde, mais le film est tout simplement meilleur sans.

Vous prenez toujours plaisir à voir des films?

Je vais beaucoup au cinéma. Et les films que je vois aujourd’hui sont l’une des raisons qui m’ont poussé à vouloir tourner un petit film, avec seulement deux acteurs. Et sans gros budget, mais avec une liberté totale, parce que moins un film coûte cher, plus vous allez jouir de cette liberté, bien entendu. On vous épargne les petits mots ou les lettres que vous envoient les groupes créatifs du studio par courriel, du genre: « Great script Roman, but we think… » -vous devriez les voir! C’était donc une raison, une autre étant de tourner un film éloigné de la violence, du bruit, des explosions, des gorges coupées, de voitures renversées dont sont saturés tous ces films d’aujourd’hui dont les budgets oscillent entre 100 et 250 millions. Je vais encore voir des films, oui. Et avant chaque film, on est bombardé de bandes-annonces où sont empilés tous ces éléments dont on pense qu’ils vont attirer le chaland. On a un condensé, en deux ou trois minutes, de violence, de bruit et de musique atroce, entrecoupés des mêmes effets sonores -comme s’ils ne connaissaient rien d’autre. Au bout de trois ou quatre trailers, on se sent tellement assommé et lessivé qu’on n’a plus l’énergie pour voir le film.

Pourquoi avoir fait allusion, dans le film, à une production musicale belge de La chevauchée fantastique de John Ford?

La chevauchée fantastique, cela vient de nos discussions, David Ives et moi, alors que nous cherchions une idée pour le spectacle qui devait avoir précédé celui de Thomas dans le théâtre, recherche à laquelle se greffait le fait que nous avions besoin d’un totem. Comme nous voulions aussi quelque chose de ridicule, j’ai eu cette idée d’une adaptation de La chevauchée fantastique en comédie musicale. Jean Rabasse a conçu un décor inspiré de Monument Valley, avec un totem et ce cactus qui a eu ma préférence. Quant à en faire une production belge, c’était juste fort drôle…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Cannes

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