Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

TRANSGENRE, ANTONY HEGARTY CHANGE DE NOM ET S’AVENTURE EN TERRES ÉLECTRONIQUES ET POLITIQUES AVEC HUDSON MOHAWKE ET ONEOHTRIX POINT NEVER. ESSENTIEL.

« Hopelessness »

DISTRIBUÉ PAR /KONKURRENT.

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Début décembre, pendant la conférence sur le climat de Paris, Antony Hegarty dévoilait 4 Degrees. Une protest song électronique, prise de conscience de sa responsabilité personnelle dans les questions de réchauffement planétaire. L’engagé et bouleversant pianiste transgenre l’avait enregistrée sans ses Johnsons et se faisait désormais appeler « Anohni » comme le surnomment sa famille et ses amis.

Fabriqué avec Hudson Mohawke et Oneohtrix Point Never et mixé par un collaborateur, Noah Goldstein, de Kanye West, 4 Degrees symbolise à merveille cet audacieux, ambitieux et vibrant disque de changement qu’est Hopelessness (« Désespoir »). On l’avait déjà célébré(e) sur le dancefloor en 2008 quand il (elle) épaulait Hercules and Love Affair pour l’irrésistible tube disco kitsch Blind. Entouré de deux bons génies d’une électronique moderne tout sauf décérébrée, Anohni utilise cette fois la dance music pour combattre les problèmes du monde.

La quadra (elle a demandé qu’on écrive « elle » plus « il ») y délaisse la métaphore poétique pour quelques-unes des déclarations les plus directes et claires de sa discographie. Drone Bomb Me, dans laquelle elle s’adresse à la machine tueuse comme à un être humain, raconte ainsi la mort d’une famille afghane balayée par un drone militaire américain. La soif de sang est l’un des sujets centraux d’Hopelessness. Comme la responsabilité qui nous incombe envers cette Terre et la nature qui l’habite. Anohni questionne sa complicité et multiplie les sujets qui fâchent. Peine capitale et patriarcat, surveillance généralisée, suprématie blanche et Obama…

Deuxième artiste transgenre, après la compositrice Angela Morley, nominé aux Oscars (pour un morceau, Manta Ray, sur la bande-son du documentaire Racing Extinction), Anohni a décliné l’invitation à la cérémonie après qu’on lui a refusé l’opportunité d’y jouer sa chanson. Officiellement pour des raisons de timing mais tout en lui préférant des artistes vendeurs. Certes, Hopelessness n’est pas un disque commercial. C’est un album courageux, intelligent, un peu exigeant. Mais aussi une oeuvre tout à fait accessible et irrésistiblement touchante.

Etoile dans un ciel noir et lourd, phare dans une nuit qui s’annonce sans fin, Anohni étincelle. La gravité et la douceur de sa voix s’inscrivent à merveille dans les paysages synthétiques, désolés et incroyablement soignés dessinés par ses complices. Se souvenant de l’émotion provoquée un beau jour par la découverte d’I Am a Bird Now à une after-party sur le coup de huit heures du matin, Hudson Mohawke a contacté la diva de l’underground new-yorkais tandis qu’il travaillait sur son album Lantern (2015). Il lui a envoyé des morceaux en lui proposant d’y poser sa voix d’ange triste. Elle lui en a donné un et a demandé de garder le reste pour un album. Hopelessness, le premier en six ans, est le remède parfait à la détresse du monde. Non pour danser insouciant sur les tables mais pour partager, en s’évadant, la crainte et l’urgence que son état suscite.

LE 24/06 À L’AB.

JULIEN BROQUET

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