A TRAVERS UN COUPLE, ET CEUX QUI GRAVITENT ALENTOUR, LE RÉALISATEUR BRITANNIQUE CAPTE LA VIE DANS CE QU’ELLE A DE SIMPLE ET D’ESSENTIEL À LA FOIS, POUR SIGNER LA CHRONIQUE SENSIBLE DU TEMPS QUI VA… UN BIJOU.

Président du jury du festival de Cannes en mai dernier, Tim Burton aura sorti 2 surprises au moins de son chapeau: la première en couronnant, refrain connu, Uncle Boonmee de Apichatpong Weerasethakul, Palme d’or inattendue, mais pas injustifiée pour autant; la seconde, en ignorant l’épatant Another Year de Mike Leigh, un film qui avait pourtant fait l’unanimité sur une Croisette littéralement enchantée. A cet égard nous revient une réflexion amusée de son compère Stephen Frears, suffisamment avisé pour présenter Tamara Drewe hors compétition: « Quand j’ai décidé de ne pas présenter mon film en compétition parce qu’il n’avait, à mes yeux, aucune chance, Mike m’a dit avoir trouvé cela épouvantable. Mais après avoir perdu, il n’a pu que louer ma sagesse… »

Lorsqu’on le retrouve quelques mois plus tard dans un hôtel londonien, Mike Leigh ne paraît nullement affecté par cet épisode -l’expérience, sans doute, d’un vieux briscard à qui Cannes avait, pour tout dire, déjà rendu les honneurs à l’époque de Secrets and Lies. Mieux même: le cinéaste anglais affiche la (bonne) soixantaine sereine et rayonnante. A croire qu’à l’instar de son cinéma, il bonifie avec le temps -l’un des postulats sous-jacents de Another Year, d’ailleurs.

De surprises en révélations

De son propre aveu, ce dernier film s’est révélé l’un des plus épineux à financer – « c’est mon budget le moins important depuis une éternité, et il s’agit assurément d’une conséquence de la récession », observe-t-il. Le résultat à l’écran ne s’en ressent pourtant aucunement; à tel point que l’on ne serait pas loin d’estimer que c’est peut-être ce qu’a fait de mieux un réalisateur qui a quand même à son actif des réussites comme Naked, All or Nothing et autre Happy-go-Lucky, excusez du peu. Ce sur quoi a pu, par contre, capitaliser le cinéaste britannique, c’est le temps, ce bien dont un Stanley Kubrick n’hésitait pas à dire qu’il était le plus précieux. Soit, dans le cas présent, 18 semaines de préparation, et une dizaine pour le tournage; pas un luxe, si l’on considère sa méthode de travail, sans véritable équivalent.

Mike Leigh opère en effet sans scénario, créant les personnages en compagnie de ses acteurs, processus dont découlera l’histoire que l’on peut découvrir à l’écran. « Quand je m’attèle à un film, j’embarque pour un voyage dont l’objet ne m’apparaît que peu à peu. L’opération n’est que surprises, de A à Z, et une quantité d’éléments émergent de manière spontanée. Je peux certes avoir une vague notion des personnages, mais ce qui se produit une fois qu’on commence à les créer constitue, pour moi, une succession ininterrompue de révélations. «  Et de s’inscrire dans un contexte plus vaste: « Tout art est une combinaison d’ordre et d’improvisation, poursuit-il. C’est à cause des conceptions en cours à Hollywood que nous considérons désormais comme acquis que les films ressemblent à des édifices mis sur plan jusqu’à la dernière brique avant même que quiconque ne s’occupe des fondations. Mais moi, je m’en tiens à une façon organique et aventureuse de faire des films où, au terme d’une exploration, on arrive à quelque chose qui doit être aussi précis qu’une cathédrale. »

Plus qu’un dispositif théorique, c’est là la matrice -et aussi la garantie- d’un cinéma vibrant au diapason de l’existence. Ainsi, encore, de Another Year, une chronique où la vie s’infiltre à travers le moindre interstice; un film dont le c£ur bat au rythme de ce temps qui n’en finit pas de s’en aller, saison après saison, laissant ses protagonistes à une variété infinie de sentiments. Si discret tour de force il y a, c’est qu’en s’immisçant dans l’intimité de Tom et Gerri, un couple à la soixantaine épanouie autour duquel gravitent une série d’électrons plus ou moins libres, Leigh réussit à la rendre nôtre. « Je tourne des films qui puisent dans une série de préoccupations ayant trait à notre rapport à l’existence. Dans le cas présent, il s’agit plus particulièrement du fait de vieillir, et d’être confronté à la marche inexorable du temps. J’ai aujourd’hui 67 ans, et ce film en est le reflet. Mais à côté de considérations personnelles, il s’en trouve d’autres, continues, qui touchent à l’amour, aux relations, à la solitude, à la responsabilité ou encore à la maturité. »

Soit un composite qui renvoie à notre condition même, dont Another Year se fait le miroir à multiples facettes, brassant des questions nombreuses, et laissant à chacun le soin d’y apporter ses réponses au besoin, en veillant d’ailleurs à ne rien figer -jusqu’en son final, judicieusement suspendu. Est-ce toutefois parce que son pivot est un couple dont irradie un sens aigu de l’harmonie -avec la terre, avec son environnement, et l’un avec l’autre- que l’on aimerait contagieux? On ne peut s’empêcher de trouver dans ce film la confirmation de ce que l’on éprouvait déjà à la vision de Happy-go-Lucky, l’opus précédent de Mike Leigh, à savoir le sentiment persistant que ce dernier poserait désormais sur la vie un regard plus bienveillant que par le passé (ce qui n’exclut d’ailleurs pas une évidente lucidité quant à la marche du monde, cristallisée dans une phrase: « On peut essayer autant que l’on veut, se montrer optimiste m’apparaît très difficile »).

La suggestion ainsi formulée rencontre une certaine perplexité: « Je ne sais pas vraiment. Comme tout le monde, j’aimerais penser, sans pouvoir en être certain, que l’on gagne en sagesse à mesure que l’on vieillit. Mais une chose intéressante à cet égard est que celui de mes films dont Another Year me semble le plus proche, tant par son esprit que par son sujet, est sans doute Bleak Moments , que j’ai tourné en 1971, alors que je n’étais qu’un jeune homme de 28 ans… » Réflexion qu’il assortit bientôt d’une autre: « Another Year est une oeuvre éminemment personnelle. Mais, au bout du compte, mes films ne parlent pas de moi, mais de vous, et chacun en tire son propre sens de l’existence. Ce qui est important, c’est ce que vous ressentez, et ce que vous retirez du film personnellement. » Pour sûr, Another Year est bien plus que juste another film…

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À LONDRES

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