Lee à tout prix

© LEE KRASNER / LIVING COLOUR, BARBICAN ART GALLERY. TRISTAN FEWINGS / GETTY IMAGES

Au dripping éjaculatoire de Jackson Pollock, il n’est pas interdit de préférer l’oeuvre plus délicate de celle qui fut sa femme, Lee Krasner.

Si le 21e siècle se cherche une héroïne, on lui conseille d’aller jeter un oeil du côté de Lee Krasner (1908-1984). Son histoire est exemplaire. Elle est celle d’une femme dont la famille arrive à New York pour échapper à l’antisémitisme en Ukraine. Dans la foulée de cette installation aux États-Unis, Lena, son véritable prénom, s’est inventée peintre, à la force des bras. Cela n’a pas été une mince affaire à une époque où le machisme pesait de tout son poids sur la création. À cet égard, on pointera une courte interview montrée dans l’exposition au cours de laquelle l’intéressée explique que la reconnaissance la plus satisfaisante qu’elle ait pu obtenir à propos de ses toiles était: « il est impossible de dire que cette oeuvre a été réalisée par une femme ». Ambiance fifties. La problématique a été d’autant plus aiguë qu’ayant épousé Pollock, Krasner a été réduite à jouer les seconds rôles. Combien de fois a-t-on pu lire qu’elle avait été « assujettie » à son mari? Pourtant, l’influence s’est exercée dans les deux sens: n’est-ce pas elle qui a suggéré à la figure de proue de l’expressionnisme abstrait d’utiliser des nombres, plutôt que des titres, pour désigner ses tableaux? Ce choix, on n’en doute pas une seconde, a profondément contribué à une réception différente de l’oeuvre de Pollock. Toujours est-il que, décliné sur deux niveaux, Living Colour restitue sa grandeur et son originalité à une approche plus retenue de l’abstraction, un versant moins sûr de son fait si l’on peut dire. L’accrochage montre aussi une artiste qui est sans cesse revenue sur son travail, n’hésitant pas détruire ce qu’elle avait accompli pour le recomposer. Le tout mobilisé par une quête de perfection exemplaire.

Détruite, dit-elle

Deux salles de cette exposition caractérisée par une grande lisibilité, malgré le fait que le parcours commence paradoxalement au second niveau, témoignent de l’incroyable capacité de Krasner à se renier et à renouer avec elle-même. La section nommée « Stable Gallery » donne à voir une série de peintures à l’huile augmentées de collages -on pense à Blue Level (1955) par exemple. Cette suite est née de dessins noir et blanc que, dans un geste de découragement, elle s’est mise à déchirer. Laissé sur le sol pendant plusieurs semaines, ce patchwork déchu a attiré son oeil au moment où celle qui a été initiée au modernisme par Hans Hofmann est revenue dans son atelier. Du chaos formel et chromatique a jailli des grands formats puissants qui déjouent tous les attendus de l’art pictural. Ceci ne fut pas un accident. Au milieu des années 70, Krasner remet le couvert en sacrifiant d’autres dessins qu’elle apposera cette fois à même la toile. Aucune déchirure cette fois, les contours des pans réassemblés sont proprement découpés au ciseau – Imperative (1976). Couleurs et lignes au charbon forment un ensemble harmonieux qui n’est pas sans rappeler des fulgurances cubistes. Enfin, il ne faut pas rater la pièce faisant place à ses oeuvres figuratives que l’on aurait tort de considérer comme des erreurs de jeunesse. Ces autoportraits peints sur le vif, en plein air par le biais d’un astucieux bricolage -un petit miroir accroché à un arbre- touchent en plein coeur.

Living Colour

Lee Krasner, Barbican centre, Silk Street, à Londres. Jusqu’au 01/09.

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