HISTOIRE DE RETROUVER SON CINÉMA, PATRICE LECONTE S’EST LANCÉ DANS L’ADAPTATION DU VOYAGE DANS LE PASSÉ, DE STEFAN ZWEIG. EN ANGLAIS DANS LE TEXTE…

Allez savoir pourquoi, on n’attendait pas vraiment Patrice Leconte, le réalisateur des Bronzés, Tandem ou autre Ridicule, du côté de chez Zweig. A fortiori pour une adaptation en anglais de l’oeuvre de l’écrivain viennois -exercice linguistique auquel le cinéaste se risque pour la première fois avec A Promise, inspiré de la nouvelle Le Voyage dans le passé. « Pour être tout à fait sincère, commence-t-il, alors qu’on le rencontre à la Mostra de Venise, où son film a fait l’objet d’une projection hors compétition, ma première envie, par respect pour Zweig, c’était de tourner en Allemagne (il optera finalement pour la Belgique, ndlr), et en allemand. La coproduction avec l’Allemagne n’a pas réussi à s’installer, et la production française m’a suggéré de tourner le film en anglais. Et c’était sans doute, pour raconter une histoire se passant en Allemagne en 1912, la seule langue possible, ce fameux anglais universel. C’est mieux pour la production, mais aussi pour les ventes internationales, même si ce n’est pas ce qui m’a motivé: faire le film en allemand aurait été bizarre, en français encore plus, restait l’anglais. C’est merveilleux, l’anglais, pour ça. » Constat pragmatique auquel viendra s’ajouter une autre considération, strictement artistique celle-là: « J’ai accepté d’autant plus facilement que j’allais avoir l’occasion de travailler avec ces acteurs anglais pour lesquels j’ai une telle admiration quand je les vois dans les films des autres… »

Adapter l’oeuvre de Stefan Zweig, le cinéaste confesse bien volontiers que rien ne l’y prédisposait, lui qui l’appréciait sans en être un spécialiste. Scénariste de quelques-uns de ses films (Confidences trop intimes, Mon meilleur ami), Jérôme Tonnerre provoquera le déclic, en lui suggérant de lire Le Voyage dans le passé: « Il y a un film pour toi dans ce livre », lui assure-t-il. Il ne croit pas si bien dire: à peine Leconte a-t-il lu la nouvelle qu’il ne peut plus en détacher son esprit. « Je trouvais, grâce à Zweig, tout ce que j’aime faire au cinéma. D’une certaine manière, après quelques films récents dans lesquels je m’étais peut-être un peu perdu, j’avais l’impression de me retrouver avec cette histoire, ces personnages, ces sentiments, cette émotion, ces vertiges. Je me sentais à nouveau chez moi. » Allusion, précise-t-il encore, à ces films « faits pour de mauvaises raisons. J’ai toujours cru dans les films que j’ai tournés, mais si je n’ai pas honte de La guerre des Miss, par exemple, je ne l’ai pas fait pour de bonnes raisons. Un projet personnel s’était cassé la gueule et comme j’ai horreur du vide, quand on me l’a proposé, j’ai accepté. Mais ce n’était pas à moi, cela ne me ressemblait pas vraiment. »

A l’inverse, et s’agissant d’un Zweig pourtant foncièrement pessimiste et, partant, assez éloigné a priori de son univers, Patrice Leconte observe, non sans pertinence: « Nous sommes comme des collines, avec une face au soleil et une face à l’ombre. Je n’ai pas de complaisance dans la tristesse, ou le mélodrame, mais ma part sombre se retrouve là, vraiment. Même si Zweig est beaucoup plus pessimiste que moi… » Mais soit, le cinéaste n’a pas adapté pour rien LeMagasin des suicides, après tout. Ce qui a pu le rapprocher également de l’auteur de La Pitié dangereuse, c’est un rapport particulier au temps. Si l’oeuvre de l’écrivain en a pris la mesure sensible, elle a su aussi paradoxalement s’y soustraire -dessein que l’on attribuerait bien à un Leconte qui semble, lorsqu’il tourne des films d’époque, vouloir autant parler du présent: « Je ne peux pas vous empêcher de le penser, mais ce n’est jamais ouvertement ma démarche, sourit-il. On me disait déjà à l’époque de Ridicule que si le film se situait au XVIIIe siècle, je parlais en fait de notre époque, mais ce n’était pas ma volonté. Même si j’ai l’envie secrète, et un peu ambitieuse, de faire des films qui échappent au temps. J’aimerais faire des films qui soient intemporels. Que, si tout va bien, dans 20 ans, on les voie et l’on se dise qu’ils n’ont pas vieilli. Et qu’avec un petit peu de chance, on n’arrive pas à mettre une date précise sur Le Mari de la coiffeuse, par exemple. Ce serait bien… »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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