Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

à travers The Social Network, fable moderne sous forme de combat pour la paternité de Facebook, Aaron Sorkin et David Fincher revisitent Citizen Kane à l’heure du tout au Web.

 » Ce film n’est pas une attaque en règle de Mark Zuckerberg, de la technologie ou de Facebook. Zuckerberg est un génie. Il incarne le hacker devenu PDG. A 26 ans, il dirige une compagnie qui a la taille de General Motors et CBS. Au même âge, j’étais barman. J’écrivais le script de Des Hommes d’honneur sur des nappes à cocktail.  » Ces mots sont d’Aaron Sorkin, le scénariste de TheSocial Network ( lire la critique page 31) et, entre autres, de la série A La Maison Blanche. La préférée de Zuckerberg jusqu’à ce qu’il apprenne que son auteur était aussi celui du film de Fincher autour de sa créature.

N’espérez pas apprendre tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur Facebook. Ecrit parallèlement à l’enquête de Ben Mzerich pour son livre La Revanche d’un solitaire (The Accidental Billionaires), The Social Network est extrêmement documenté mais se veut plus crédible qu’historique.  » Toutes les parties impliquées sont entrées dans une pièce, ont juré sur la bible de dire la vérité et ont ensuite raconté des histoires différentes, précise Sorkin. J’ai dû rassembler ces versions pour pouvoir décrire une vérité plus large.  » Et, autant l’écrire tout de suite, le huitième long métrage de Fincher est moins un film sur Facebook qu’une allégorie de la solitude et des rapports de force, une mise en lumière des paradoxes contemporains.

 » Quand j’ai signé pour ce film, je ne connaissais rien de Facebook, avoue Sorkin. Je n’y étais pas inscrit. J’en avais juste entendu parler mais comme j’avais entendu parler d’un carburateur. Je ne savais pas à quoi ça servait. Ce n’est pas Facebook qui m’intéressait mais la loyauté, l’amitié, la trahison, la jalousie, le pouvoir, la justice, les classes sociales, le pardon…  »

Le tout évidemment dans un contexte actuel. L’ère du 2.0. Celle où les nerds se rebiffent contre leur statut de défouloir et de mascotte. Celle où on parle davantage à un inconnu de Buenos Aires qu’à sa voisine veuve enfermée du soir au matin avec son chien.

 » Mark a échangé le seul et vrai ami qu’il avait. Non pas contre de l’argent, qui n’a rien de sa préoccupation principale, mais contre ce qui le rendrait cool. Il a créé un nouveau club où tu peux te réinventer, te présenter comme tu le désires. Un monde meilleur, plus sympa, plus hype que celui dans lequel il vit. Ce qui est assez ironique, c’est que cette invention censée nous rapprocher peut aussi nous séparer. Il faudra attendre 10 ans avant d’obtenir les résultats de cette expérience sociale qu’est Facebook. »

Même si la question de la vie privée et de son respect, vaguement évoquée à travers la relation entre Zuckerberg et la fille qui lui aurait inspiré son site de réseaux sociaux, n’est pas l’une des principales préoccupations de The Social Network, Aaron Sorkin a profondément réfléchi au sujet.

 » J’ai pensé à cette question en me souvenant des événements d’avril 2001. Quand j’ai été arrêté à l’aéroport avec de la drogue dans mon sac. C’est la première chose que le monde apprit de qui j’étais vraiment alors que j’avais jusque-là l’image des personnages que je créais. Des gens idéalistes, intelligents, charmants, qu’on rêve d’avoir pour ami, chef, collègue ou président.  »

Le scénariste américain est évidemment convaincu qu’on empiète de plus en plus sur la sphère intime.  » Qu’il s’agisse ou pas de personnages publics. Nous sommes divertis par ce que vit l’autre. Nous nous amusons sans fin de son humiliation. Les premières semaines d’American Idol etdérivés ne servent qu’à se payer de la tête de ceux qui ne savent pas chanter. Personnellement, je ne m’en réjouis pas. Et je pense que la socialisation sur Internet est aux relations humaines ce que la télé réalité est à notre quotidien. »

Vous avez un message

Il paraît que les habitués des salles obscures seraient plus internautes et technophiles que les autres. Qu’ils passeraient plus de temps sur Facebook et Twitter… Si les technologies avancées, les nouveaux modes de télécommunication et les réseaux sociaux propres à la société de l’information sont devenus le terrain de plans marketing hollywoodiens, ils constituent aussi un vrai sujet de cinéma. Au début des années 80, ils servaient de moteur à des films de science-fiction comme Tron ou WarGames, l’histoire de ce gamin hacker qui piratait sans le savoir le système informatique militaire américain, déclenchant pratiquement une guerre thermo nucléaire. Grosso modo, ils représentaient un fameux lot d’emmerdes. Futuristes voire totalement improbables. Confortablement installés dans notre quotidien, ils animent depuis 15 ans maintenant des comédies de rencontres ( Vous avez un message), des thrillers ( Firewall, Traque sur Internet, Hard Candy), des films d’action ( Die Hard 4) ou encore des drames ( Adoration, Afterschool). Avec The Social Network, ils rappellent même qu’aujourd’hui on peut devenir riche, très riche, sans se fouler. l

Julien Broquet

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