À 74 ANS, TERENCE STAMP OCCUPE À NOUVEAU LE DEVANT DE LA SCÈNE, AU PROPRE COMME AU FIGURÉ, DANS SONG FOR MARION. L’OCCASION DE REVENIR AVEC LUI SUR UN DEMI-SIÈCLE D’UNE CARRIÈRE HORS NORME. OÙ LES SOUVENIRS DE TOURNAGE AVEC LES USTINOV, WYLER, FELLINI ET AUTRE PASOLINI SE CONJUGUENT AU PASSÉ RECOMPOSÉ.

„Il n’est jamais trop tard pour changer. » L’accroche n’en est que plus parlante s’agissant d’un film, Song for Marion, à l’affiche duquel figure Terence Stamp, acteur-caméléon aux vies plurielles et à la carrière protéiforme s’il en est. Marin au coeur pur, ravisseur obsessif, visiteur divin, bad guy de film de super-héros, pape assassiné, diable en limousine, transsexuel vieillissant, paternel vengeur, Chancelier Suprême de la République Galactique… Tout cela, et bien plus encore, Terence Stamp l’a été, tournant, sur une carrière courant sur pas moins de six décennies, aux quatre coins du globe avec des cinéastes aussi différents que Peter Ustinov, William Wyler, Joseph Losey, Ken Loach, Pier Paolo Pasolini, Michael Cimino, Oliver Stone, Steven Soderbergh, George Lucas et même… Yvan Attal.

C’est à Lille, à la mi-avril, en marge du festival Cinémondes dont il est l’invité d’honneur, que l’on rencontre le sieur Stamp, les yeux dans les yeux à l’intensité quasi minérale du comédien. Lequel nous reçoit pieds nus, dans sa chambre, ses sandales fatiguées gisant négligemment sur le sol. « On doit tous mourir un jour, c’est un fait, commente-t-il à propos du film qu’il est venu défendre. Mais, en attendant, nous ignorons trop souvent comment vivre. » C’est tout l’enjeu d’un Song for Marion relativement mineur, malgré ses belles intentions, où l’acteur, après plusieurs années de rôles passablement secondaires, est de tous les plans en vieil homme bourru que la mort annoncée de sa femme va pousser à réévaluer son propre rapport à l’existence. « Il doit essayer de se connecter avec cette part de lui-même qu’il pourrait aimer, cette espèce d’innocence enfouie qui n’aurait pas été affectée par le passage du temps.  »

Innocence, le mot est lâché, qui aura déterminé la carrière de Terence Stamp dès le début des années 60, quand le garçon issu d’une famille modeste de la banlieue de Londres décroche son premier rôle -et une nomination instantanée aux Oscars- dans le Billy Budd de Peter Ustinov. A son propos, en effet, Ustinov déclarera alors qu’il faut filmer son visage pur avant qu’il ne perde son innocence. « C’est amusant parce que plusieurs personnes m’ont fait remarquer que la promesse qui était visible dans Billy Budd se trouvait en quelque sorte réalisée aujourd’hui dans Song for Marion, dans une forme d’innocence plus mature. Toujours est-il que c’est cette innocence qui m’a valu le rôle de Billy Budd. Ça et aussi le fait que la femme de Peter ne cessait de répéter que je lui rappelais Gérard Philipe, ce qui me flattait terriblement. A la fin du tournage, Ustinov m’a dit: « On a accompli quelque chose de réellement spécial ensemble. Tu vas voir, si tu fais de bonnes choses, les bonnes choses se présenteront naturellement à toi. » Cette phrase, je l’ai prise très à coeur. Peut-être un peu trop, d’ailleurs. Parce que pendant de nombreux mois, je n’ai reçu aucune proposition…  »

Il faudra attendre le mitan des sixties pour que le cinéma revienne frapper à sa porte, en la personne de… William Wyler. Rien de moins. « La grande bénédiction de ma vie d’acteur, je la dois aux gens qui ont choisi de travailler avec moi. Dans un premier temps, étrangement, je ne voulais pas faire The Collector. Le livre était un chef-d’oeuvre mais je ne me voyais pas jouer ce petit employé de bureau invisible et boutonneux. Et puis un jour, on m’a dit que Wyler allait réaliser le film. Alors j’y ai été. A la fin du test, je lui demande: « Voulez-vous que je fasse ce film? » Il opine simplement du chef. Alors je dis, penaud: « Mais vous savez, dans le livre… » Et là, il s’est approché de moi -je me souviens que son haleine sentait la Gauloise- et m’a chuchoté à l’oreille: « Peu importe le livre. On va faire une histoire d’amour moderne. » »

Sa prestation, époustouflante, lui vaut un Prix d’interprétation à Cannes. A 27 ans, sa carrière est définitivement lancée, la prédiction d’Ustinov semblant se réaliser au-delà de toute espérance: Stamp fait les 400 coups avec son colocataire Michael Caine, enchaîne les relations avec une poignée d’actrices et mannequins en vue et devient, en définitive, une véritable icône du Swinging London -dans Waterloo Sunset, pop song touchée par la grâce des Kinks en 1967, c’est au couple phare formé alors par l’acteur et Julie Christie que Ray Davies réfère quand il chante « Terry meets Julie« .

Voyage en Italie

Un autre (bon) génie du cinéma -Fellini lui-même, pour les besoins du film à sketches Histoires Extraordinaires– donne bientôt une nouvelle impulsion à son parcours. « Fellini avait écrit ce personnage d’acteur halluciné pour Peter O’Toole mais ce dernier a finalement décliné. A trois semaines du tournage, il envoie donc quelqu’un à Londres en lui disant: « Ramène-moi l’acteur le plus décadent que tu pourras dégoter. » Je venais de terminer le tournage du western Blue, où j’avais les cheveux peroxydés, de larges chemises en cachemire… Bref, le parfait profil du fumeur de joint. Je me retrouve donc dans cet avion pour Rome. A l’aéroport, Fellini était ravi, il m’a emmené chez lui, où j’ai séjourné le plus naturellement du monde. Il n’avait rien à voir avec cet espèce de freak indéchiffrable de Pasolini, non, il était ce maestro formidable d’ouverture, il m’a présenté un tas de gens, et ma vie a changé à ses côtés.  » Pourtant, c’est bien Pasolini qui, dans la foulée, offrira à Stamp ce que d’aucuns considèrent comme son plus beau rôle, celui de l’étrange visiteur de Théorème en 1968. « C’était la première fois que je ne développais aucune relation avec un réalisateur. Pasolini ne m’adressait pas la parole. Mais il avait toujours une caméra avec lui, et je me suis rendu compte qu’il me filmait à mon insu. C’était très perturbant. Peu à peu, j’ai compris qu’il voulait ce que j’étais, pas l’acteur mais la personne.  »

Quarante-cinq ans plus tard, le comédien anglais s’amuse à tracer des parallèles entre cette quête, mystique, d’authenticité et celle qui, plus prosaïquement, conditionne Song for Marion aujourd’hui. Entre les deux, il faut dire que Terence Stamp aura finalement connu assez peu de rôles de premier plan, lui dont la filmographie regorge de personnages de second couteau dans des productions plus ou moins en vue. C’est que la fin des sixties, décennie de tous les possibles, sonna aussi celle de sa glorieuse ascension. « Entre 1970 et 1977, je n’ai pratiquement rien joué. J’étais fini. Je me levais chaque matin mais le téléphone ne sonnait pas. Alors j’ai acheté un billet pour voyager autour du monde, en quête de sens, et je me suis retrouvé dans un ashram en Inde. Avec le recul, je me rends compte que ce passage à vide, que j’ai très mal vécu, a pourtant été une vraie bénédiction. Quand je suis revenu à la fin des années 70, j’avais gagné une forme d’humilité par rapport à mon métier. J’avais besoin d’argent. J’essayais de faire de mon mieux, sans forcément juger les mauvais scénarios. Prenez Superman II. Sans cette traversée du désert, je n’aurais jamais accepté d’être le super-vilain du film. Et pourtant aujourd’hui, je ne peux aller quelque part sans qu’on me crie: « Kneel before Zod! » »

Plutôt du genre à positiver, Stamp prend le parti de s’amuser des coups du sort. « Et puis le cinéma m’a encore réservé de très belles choses, notamment dans les années 90, avec Priscilla, Queen of theDesert, un truc terrifiant à jouer mais une expérience tellement gratifiante, et bien sûr The Limey. » Pas ou peu de regret, donc, surtout quand le destin semble vouloir y mettre du sien… « En 1967, j’ai refusé de jouer le Roi Arthur dans Camelot, cette brillante adaptation d’une comédie musicale. Je m’en suis toujours énormément voulu, mais j’étais terrorisé à l’idée de chanter devant une caméra. Alors imaginez quand, plus de 40 ans plus tard, on me propose Song for Marion et qu’on me dit que Vanessa Redgrave, qui jouait Guenièvre dans Camelot, est de l’aventure, que mon personnage s’appelle Arthur et qu’il va falloir chanter… Je me suis dit que l’univers me donnait une seconde chance! »

RENCONTRE NICOLAS CLÉMENT, À LILLE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content