Le roi Abrams

Nicolas Bogaerts Journaliste

Un court et passionnant essai éclaire le phénomène J.J. Abrams, révèlant sa singularité dans un cinéma qui n’en finit pas de recycler ses figures héroïques.

J.J. Abrams ou l’éternel recommencement

D’Erwan Desbois, éditions Playlist Society, 128 pages.

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J.J. Abrams est devenu en quelques années le Roi Midas de la télé (Alias, Lost, Fringe) et du cinéma (Super 8, Mission: Impossible III). Même lorsqu’il met la main sur les deux méga franchises Star Trek et Star Wars, elles semblent se recouvrir de feuilles d’or. Analysant les causes d’un tel succès (au pire d’estime), le critique cinéma Erwan Desbois, fidèle à l’approche synthétique et érudite de la maison d’édition Playlist Society, questionne les motivations et les thèmes qui traversent l’oeuvre d’Abrams, alors qu’à Hollywood reboots et remakes tiennent lieu d’alpha et d’omega.

Le créateur de Lost occupe une place à part dans le paysage d’Hollywood. Si, suivant les pas de son modèle de toujours, Spielberg, il épouse parfaitement les contours et les codes de la nouvelle culture populaire, c’est pour mieux redessiner leur éternel retour, se trouver « une manière personnelle et stimulante de pratiquer le méta-cinéma et l’art du reboot ». Plus étonnante est sa façon d’aborder, dans ses récits, les stigmates du XXIe siècle. Avec Alias, Cloverfield (« un exorcisme de l’horreur du réel« ) ou ses réappropriations de Star Trek ou Star Wars, il offre des réponses parmi les plus nobles au traumatisme du 11 septembre et à ses répercussions: il bouscule la notion d’état d’urgence, condamne la terreur comme réponse à la terreur, établit une éthique de la responsabilité et de la reconstruction des valeurs fondatrices de la démocratie américaine. « Souvenons-nous de ce que nous étions et que nous devons être à nouveau », fait-il dire au Capitaine Kirk (Chris Pine), dans Star Trek Into Darkness.

Ré-initiation

Obsédé par la question de l’héritage, de la culture et du mystère, le cinéma d’Abrams est né dans ce contexte singulier mais il ne peut en être réduit pour autant à un symptôme. Il est animé par une réappropriation personnelle de ces enjeux éthiques et commerciaux, dynamisée à coups de récits et de ressors narratifs à la fois audacieux et accessibles au plus grand nombre. « Le cinéma a beau reposer sur une accumulation d’artifices manifestes (…), il a la faculté de ranimer ou révéler des émotions et des sensations vraies, inaltérées. » Dans ce livre admirablement documenté et réfléchi, qui refonde la crédibilité d’un réalisateur trop vite qualifié de bon élève de l’industrie, Abrams paraît en cinéaste de la « réinvention« : celle qui invite à retrouver les émotions, à redécouvrir le sens, à nous réinitier aux vertus du mystère et de la rédemption.

NICOLAS BOGAERTS

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