Révélé au début du siècle par Sexy Beast, Jonathan Glazer s’est, depuis, composé un profil de cinéaste aussi rare que singulier. Under the Skin n’est ainsi jamais que son troisième long métrage, qui le voit, après le polar dans son premier opus et le film de fantômes dans Birth, détourner un nouveau genre cinématographique, la science-fiction en l’occurrence. A l’origine du film, on trouve le roman éponyme de Michael Faber -l’histoire d’une prédatrice sillonnant les rues d’Ecosse en quête d’hommes à séduire; de la chair pour aliens en fait. « Nous n’avons conservé que fort peu d’éléments du livre, observe toutefois le réalisateur britannique, rencontré à Venise au lendemain d’une projection chahutée. A savoir le personnage féminin, le cadre écossais, et l’idée d’appréhender le monde à travers le regard d’une extra-terrestre. »

Ouvert sur le subconscient

Soit la matrice d’un film proprement envoûtant, qu’un long processus de maturation a fait tendre vers l’abstraction, en une expérience sensorielle et visuelle puissante. « La tonalité du film découle de notre volonté de maintenir nos distances vis-à-vis de la science-fiction, poursuit-il. Pour moi, Under the Skin n’est pas vraiment un film de SF: une fois qu’on fait l’économie de la machinerie, des éclairages et des vaisseaux spatiaux inhérents au genre, on se retrouve face à un espace noir. Nous avons beaucoup réfléchi à ce vide, ce sol qui se dématérialise pour se transformer en portail où les protagonistes accèdent à une autre dimension. L’idée était de créer une étrangeté bien réelle, une sorte de paysage onirique. » Opaque, l’écran noir autorise les projections mentales les plus diverses, ouvrant ainsi sur le subconscient.

Le film préserve son mystère, cependant, et avec lui, celui de cette alien à qui Scarlett Johansson prête ses traits avantageux. Usant de sa nudité de manière fonctionnelle -Glazer évoque un « corps désérotisé »-, l’actrice s’avance le plus souvent « déguisée », manière d’être raccord avec un personnage devant littéralement endosser une autre peau, tout en facilitant un tournage en grande partie sauvage: les scènes tournées à Glasgow l’ont été à l’aide de caméras cachées, les individus accostés par la comédienne ignorant le plus souvent qu’ils étaient filmés. « Plutôt que d’installer Scarlett sur un plateau de cinéma, nous avons voulu la mettre dans le vrai monde. Je tenais à ce qu’elle agisse sur le monde tel qu’il est. » Filmé entièrement du point de vue de cette alien-outsider –« Je suis définitivement intéressé par des personnages qui évoluent aux marges de la société »-, le résultat est fascinant, qui la voit porter sur le monde et ceux qui le peuplent un regard désinvesti. Un exercice funambulesque dont Miss Johansson s’acquitte avec une maestria assurément peu banale: « Le courage de Scarlett est à la mesure de celui du personnage, conclut Jonathan Glazer. Elle est arrivée à une période de sa vie où elle est prête à relever ce type de défi, et à s’y dévouer totalement. » Voix de système opérationnel ou femme fatale ultime, quelque chose comme l’éternel féminin dans sa dimension insondable, définitivement Her…

J.F. PL.

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