Le prix de la liberté

Les Belges Max de Radiguès et Hugo Piette adaptent en images un classique des lettres américaines, entre nature writing et americana. Un formidable one-shot autant qu’une ode aux insoumis.

L’Oncle Sam doit se retourner dans sa Ford Mustang: le dernier des cow-boys est belge! Et le restera tant que d’autres n’adapteront pas le roman d’Edward Abbey, The Brave Cowboy, écrit en 1956, adapté au cinéma dès 1962 et joliment traduit par Seuls sont les indomptés dès sa réédition en France et en français par l’éditeur Gallmeister, en 2015. C’est en effet entre Liège et Bruxelles que s’est joué le nouveau destin du très américain Jack Burns, le cow-boy flamboyant et hors du temps de ce roman, qui fuit la modernité autant que la justice.  » Mais les Européens sont depuis toujours fascinés par ce folklore américain« , entame le Bruxellois Max de Radiguès.  » Pour moi c’est un truc de l’enfance au cours de laquelle j’ai été biberonné aux films américains, à la musique américaine, avant même d’y travailler, d’y avoir des amis (en 2011, Max a effectué une résidence au Center for Cartoon Studies de White River Junction, dans le Vermont, qui a profondément marqué son travail d’auteur et d’éditeur à L’Employé du Moi, NDLR) . L’Ouest sauvage, les grands espaces, la nature pas domestiquée, ça m’a toujours fasciné. Peut-être aussi parce que je viens d’un pays si minuscule, où dès que tu jettes un caillou, tu touches une maison!« .  » Moi, c’est mon premier livre « américain », complète le Liégeois Hugo Piette, et c’était amusant de se frotter aux clichés de la région et du genre. Mais ce sont surtout les variations d’ambiance et de décors qui m’ont séduit dans le roman, et dans les images que je pouvais en tirer: il y a du western, du polar, de l’action, parfois de la comédie, mais toujours du romanesque. Et un vrai fond, très contemporain, autour de cet homme qui est rattrapé par la modernité, et qui est condamné à l’affronter.  »

Ces deux trentenaires-là se connaissent et s’apprécient depuis longtemps. Une première collaboration à quatre mains dans le cadre des « 6 heures de la BD » il y a quatre ans (qui deviendra ensuite un récit complet publié dans la revue Pandora de Casterman) a achevé de les convaincre. Restait à trouver le projet, et le bon partage des tâches.  » L’éditeur de Sarbacane connaissait mon goût pour les grands espaces américains et mon envie de m’essayer à une adaptation littéraire« , explique Max de Radiguès.  » Or, il avait acheté plusieurs droits d’adaptation chez Gallmeister, connu pour son goût de l’americana et du nature writing, dont ce Seuls sont les indomptés , dont j’ai tout de suite vu qu’il se prêterait bien à l’exercice. Mais il a fallu faire valider le projet par les ayants droit de l’auteur (mort en 1989, NDLR). On a alors proposé trois dessinateurs différents, dont Hugo, qui a tout de suite séduit la veuve! » Hugo Piette enchaîne:  » Cette mise en concurrence, peu habituelle, m’a en fait très bien convenu. J’ai pu proposer des images sans a priori et sans pression, vraiment comme je les sentais. Max n’avait pas encore écrit de scénario. J’ai lu le livre, j’ai mis sur papier quelques séquences, quelques images, qui sont d’ailleurs encore dans l’album. J’ai tout de suite eu des plans qui me venaient en tête, des personnages qui apparaissaient… J’avais aussi envie de tendre vers un peu plus de réalisme, avec des couleurs chaudes, un trait un peu plus gras… Après, il a fallu tout redécouper, tout réorganiser, et abattre un boulot de titan, mais j’ai essayé de garder cette énergie-là. » Et Max de conclure:  » Je n’avais pas envie d’être castrateur, et je n’ai pas d’ego de scénariste, l’idée était vraiment de bosser ensemble et d’avoir un échange, pour mélanger nos qualités et laisser beaucoup de latitude à Hugo, entre autres dans le découpage.« 

Le prix de la liberté

Seuls sont les indomptés

L’énergie et la liberté sont des marqueurs importants de la jeune carrière d’Hugo Piette (déjà auteur entre autres de la série humoristique Poncho et Semelle, ou d’albums avec Trondheim ou Gwen de Bonneval au scénario). Des ingrédients qui collent de fait parfaitement aux bottes et à l’esprit de Jack Burns. Vivant en solitaire et d’expédients, le plus souvent à dos de cheval, Jack décide de revenir à la civilisation lorsque son ami d’enfance se fait incarcérer pour avoir refusé, comme lui, de se soumettre à ses obligations militaires. Décidant, sans son consentement, de le faire évader, Jack finira par faire l’objet d’une chasse à l’homme comme seules les fifties aux USA pouvaient en offrir, entre western et polar. Une fuite en avant et une chasse à l’homme à peine entrecoupées par le quotidien éreintant et a priori sans rapport d’un chauffeur routier, qui ne sera là que pour rappeler Jack Burns à son destin tragique: nul ne peut impunément entraver la marche de l’ordre et du progrès. On ne dévoilera pas le final tragique de ce roman graphique hautement recommandable et très américain malgré sa belgitude. Peut-être peut-on juste dire qu’il respecte l’esprit et la lettre de son auteur original, Edward Abbey, icône de la contre-culture et pionnier de la prise de conscience écologique aux États-Unis. Lequel sera resté libre et radical jusqu’au bout: 30 ans après son décès, sa tombe demeure en effet aujourd’hui introuvable. Abbey avait demandé à être enterré clandestinement au milieu du désert; ses proches ont appliqué sa dernière volonté. Le dernier des cow-boys, ce n’était pas Jack Burns, c’était lui.

De Max de Radiguès et Hugo Piette, d’après Edward Abbey, éditions Sarbacane, 176 pages.

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