Vincent Genot
Vincent Genot Rédacteur en chef adjoint Newsroom

Un castar moustachu au long pif accompagné de deux jolies poupées… En matière de couverture phallocentrique, on peut difficilement rêver mieux. Pourtant, Christophe Blain -dont les dessins illustrent aussi le contenu de ce numéro de Focus Vif- adore la gent féminine. Pour tout dire, on retrouve la femme partout dans ses histoires.

La dernière en date est même une ode au pouvoir de la femme. Dans La Fille, une Brigitte Bardot rousse directement sortie d’une affiche de Guy Peellaert rejoint une bande de motardes qui cassent du cow-boy. Mais pas gentiment, hein! A grands coups de lattes dans la figure de leurs prétendants naïfs, les donzelles ratatinent du mâle à qui mieux mieux. Road trip halluciné, l’histoire de ces amazones modernes est une sorte de critique inversée de notre époque toujours dominée par la masculinité. Mais Blain ne serait pas Blain sans ses pirouettes qui éloignent toute idée de sérieux, de récit moralisateur. Ainsi, même si elle s’en défend, La Fille finira par tomber amoureuse d’un minuscule garçon vacher qu’elle sera obligée de cacher dans son short (très sexy) pour le protéger de la hargne de ses consoeurs. Vous avez dit loufoque? Voilà bien une des marques de fabrique de Christophe Blain.

Dans le genre iconoclaste, Blain a d’ailleurs assuré sa notoriété avec Gus. Sorte de Lucky Luke à visage humain, le cowboy affiche des préoccupations aussi terre-à-terre que la poussière des plaines du Far West qu’il arpente. Entre deux attaques de trains et des poursuites de diligence, il n’oublie pas la chose essentielle à toute vie réussie: chercher et trouver l’âme soeur. C’est pourquoi, le soir, après avoir braqué une banque, assis à la table de sa petite cahute, il rédige et rature des lettres d’amour qu’il oublie d’envoyer. Véritables bonheurs pour les zygomatiques, les aventures de Gus sont probablement le plus bel exemple de la méthode Blain. Comme pour son Isaac le Pirate, l’auteur construit un récit épique dans lequel il greffe des réflexions quotidiennes très contemporaines. L’aventure iconoclaste, mélangeant habilement le burlesque et les grands mythes, devient le support du questionnement. Côté dessin, ce qui semble simple se révèle minutieusement travaillé dans des aplats de couleurs que l’on croirait trop pures et qui finissent par s’imposer naturellement aux lecteurs.

Cette approche était déjà de mise dans Le Réducteur de vitesse, son premier album solo. A son sujet, Cosey écrit d’ailleurs que « Le Réducteur de vitesse atteint l’ultime qualité d’une BD: ce mystère que Scott McCloud a minutieusement étudié, mystère qui fait que le visage de Tintin n’est pas un trait ovale avec deux points noirs, mais bien le visage de Tintin. » Blain prouve que l’émotion peut naître d’un simple trait. Pour un jeune auteur, le compliment est de taille.

Depuis, avec ses deux récompenses à Angoulême, dont le dernier Fauve d’or du meilleur album pour son Quai d’Orsay, Blain a confirmé qu’il est l’un des dessinateurs les plus doués de sa génération. La preuve? Le cinéaste Bertrand Tavernier (lire son interview page 34) s’est bagarré pour remporter les droits d’adaptation de Quai d’Orsay au cinéma. La sortie est prévue pour décembre 2013.

VINCENT GENOT

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