C’est clair, choisir le métier d’écrivain, ce n’est pas opter pour la filière la plus glamour. Même s’il trempe sa plume dans l’encre bouillonnante du présent et même s’il sert la soupe à d’autres professions autrement mieux cotées à la bourse de la coolitude (en particulier le cinéma), le tailleur de mots traîne une réputation qui colle aux dents: au mieux on verra en lui un sage échappé du musée de la préhistoire, au pire un dilettante misanthrope qui a raté le train de la modernité. L’avènement d’une société se vouant corps et âme au dieu de l’image et de la vitesse n’a pas arrangé son cas. Avec sa manie de noircir des tonnes de papier, il fait un peu penser à un coureur de fond qui s’alignerait sur le 100 mètres. Il faut dire que certains spécimens n’ont pas ménagé leurs efforts pour distiller cette image de paria volontaire. On songe à des J.D. Salinger ou à des Harper Lee. En se murant dans le silence et l’anonymat, ou en escaladant les parois de leurs abysses intérieurs en même temps que celles des bouteilles de whisky comme Bukowski, ils ont accrédité l’idée que l’horloge des romanciers ne tourne pas tout à fait rond. Et comme du particulier (surtout quand il est médiatisé) au général il n’y a qu’un pas vite franchi par le grand public, la cause des écrivains a vite été entendue. Pourtant, si on se donne la peine de déchirer le voile des préjugés, on verra que le c£ur des greffiers de nos vies intimes bat au rythme de l’époque. Pour certains, les habitués des plateaux télé notamment, c’est une évidence. Même si l’entreprise reste périlleuse. Beigbeder passe ainsi son temps à se justifier de manger à tous les râteliers. Comme si par essence, un grand écrivain ne pouvait vivre qu’à l’écart des projecteurs et des courants d’air. L’envie de s’aventurer hors des clous du roman l’emporte heureusement aujourd’hui. A ceux qui allaient déjà compter fleurette aux studios de cinéma (de Christophe Honoré à Richard Price) sont venus s’ajouter ceux qui poussent des portes plus improbables. Comme Nick Hornby, qui a marié ses mots aigres-doux à la pop acide de Ben Folds ( Lonely Avenue). Ou plus surprenant encore, comme Alex Garland, qui a mis son sens de la narration au service d’un jeu vidéo moins bas du plafond que la moyenne, Enslaved: odyssey to the west. Qu’un des titres vidéoludiques phares de l’année écoulée, Alan Wake (lui-même inspiré d’un thriller de Stephen King!), se glisse dans la peau d’un écrivain laisse d’ailleurs augurer des jours meilleurs pour le matricule des auteurs. Et on se prend à rêver du jour où les kids lâcheront leur vibromasseur numérique (smartphone ou netbook) pour aller faire une razzia sur la bibliothèque familiale. Si du moins elle n’a pas été « pêle-mêlisée » entretemps… l

Par Laurent Raphaël

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