EMMANUELLE DEVOS S’EST MISE VIOLETTE LEDUC DANS LA PEAU. UNE INTERPRÉTATION SUPERBE, SUR LE FIL DU RASOIR.

Arnaud Desplechin n’en a pas fait pour rien son interprète d’élection. De Jacques Audiard (Sur mes lèvres et son César de la meilleure actrice en2002) à Xavier Giannoli (A l’origine pour un César de la meilleure actrice dans un second rôle en 2010), la trajectoire d’Emmanuelle Devos a fait rimer excellence et exigence, émotion et passion. Aujourd’hui, c’est dans Violette que s’exprime le talent fou de la native de Puteaux. Un film biographique, où elle incarne superbement la romancière féministe Violette Leduc, figure fascinante du monde des lettres de l’immédiat après-guerre au début des années 70. Pour jouer cette femme complexe et fiévreuse, amie de Simone de Beauvoir (Sandrine Kiberlain) mais aussi follement éprise de l’auteure du Deuxième sexe, l’actrice a renoncé à ses habitudes…

« Ce personnage, je ne l’ai pas pris comme les précédents, confie-t-elle. J’ai commencé par l’enveloppe pour arriver ensuite et finalement au coeur de Violette Leduc. Ce qui m’intéressait au début, c’était le côté transformation, le faux nez que je devais porter pour tenir ce rôle. Tous les attributs extérieurs m’amusaient. Et aussi le fait de jouer un personnage qui n’a pas le moindre point commun avec moi. N’ayant absolument rien vécu de ce qu’elle a vécu, je ne pouvais que travailler à le comprendre. Normalement, on attrape un personnage et on se l’approprie, en passant par soi. Là, j’avais beau chercher, je ne trouvais rien… Contrairement à Martin (Provost, le réalisateur du film, ndlr). Il m’a pris la main pour m’amener vers Violette, cette femme qui lui parlait à lui, et pour laquelle il éprouve beaucoup de tendresse. Un sentiment que je n’avais pas spécialement, du moins au début…  »

Ayant beaucoup de temps pour se préparer (plus d’un an), Devos a commencé à lire, à se documenter, à parler avec le réalisateur. « Et j’ai apprivoisé ce personnage que je n’aimais pas particulièrement au départ« , sourit la comédienne pour laquelle un déclic se produisit « quand j’ai compris que Martin faisait un film sur l’écriture, sur la pulsion de l’écrit« . C’est à partir de ce moment qu’elle a commencé à ressentir les choses, à se »demander ce qui faisait qu’on ne pouvait pas faire autrement qu’écrire« . Le point commun était enfin là, « car moi-même je ne peux faire autrement que jouer… » Et Emmanuelle de « sentir physiquement cette évidence qu’à partir d’un moment on ne peut plus faire qu’écrire, pour ne pas en crever, pour ne pas carrément mourir. Une chose que Martin avait lui-même éprouvée quand, comédien à l’origine, il a compris qu’il ne survivrait que s’il pouvait écrire, raconter, filmer… Il parle de lui, dans Violette »

Feu de tout bois

Un des choix marquants du film est d’exposer les contingences matérielles dans toute leur importance: on y parle beaucoup d’argent, et de nourriture. « On est loin de l’abstraction, on est en plein dans le concret, commente Emmanuelle Devos, car quand on ne fait qu’écrire, et que le succès tarde à venir, la question de la survie matérielle se pose cruellement. Sans l’aide de Simone de Beauvoir, que serait devenue Violette Leduc? » De la romancière qu’elle incarne si bien, l’actrice aime le fait que, « comme Marguerite Duras, elle ne pouvait se mettre à écrire qu’après avoir fait son ménage…  »

« C’était une affamée –L’Affamée est d’ailleurs le titre d’un de ses livres-, elle aimait manger, boire un coup, c’était une charnelle, une sensuelle« , déclare une Devos qui a bien saisi, de son personnage, le grand paradoxe: se trouvant laide, Violette n’en était pas moins être de désir, et capable de susciter celui-ci chez les autres. « De sa laideur, elle a fait un blason, une bannière, s’enthousiasme la comédienne, elle fut parmi les premières à mettre une mini-jupe, à presque 60 ans! De sa souffrance, elle aura fait un atout, en en parlant à longueur de pages, jusqu’à en être soûlante parfois. Elle faisait feu de tout bois. Et le bois, c’était elle! »

La dimension féministe de la trajectoire de Leduc n’a bien sûr pas laissé indifférente une actrice qui, jeune, avait lu Simone de Beauvoir et Elsa Triolet, sans avoir entendu parler alors de l’écrivaine qu’elle joue aujourd’hui. « Tout était à reconstruire, c’était l’après-guerre, les journaux prenaient des titres comme Combat ou Libération. Un monde était à réinventer, les féministes eurent rapidement une expression dans le domaine des Lettres. L’époque faisant l’artiste, il y avait de quoi en écrire, des livres, sur cette lutte-là! »

RENCONTRE Louis Danvers

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