Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

FIGURE ATYPIQUE DU THIRD STREAM, RAN BLAKE EST UN PIANISTE À PART. UN COFFRET NOUS OFFRE QUELQUES-UNES DES PLUS BELLES PÉPITES DE SA DISCOGRAPHIE.

Ran Blake

« The Complete Remastered Recordings On Black Saint & Soul Note »

CAMJAZZ BXS 1034 (7CD) (HARMONIA MUNDI).

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Pianiste, enseignant et cinéphile, Ran Blake est encore étudiant lorsqu’il rencontre en 1959 Gunther Schuller, chantre du Third Stream(1). Immédiatement séduit par la personnalité du jeune homme (Blake est né en 1935), le pédagogue l’invite deux années de suite à la Jazz School de Lenox, une université d’été où il aura comme professeur John Lewis, pianiste du Modern Jazz Quartet. Enchanté de découvrir un musicien sensible autant à la musique classique qu’au jazz, Schuller l’aidera à enregistrer en 1962 son premier album, un duo avec la chanteuse Jeanne Lee, The Newest Sound Around. Désormais enseignant au Boston New England Conservatory, Ran Blake se lie à la même époque d’amitié avec la grande dame du piano jazz, Mary Lou Williams, qui influencera le développement de son langage pianistique. Il lui faudra pourtant attendre 1976 et IAI, le label créé par Paul Bley (un immense pianiste lui-même) pour que sa carrière décolle définitivement.

Film noir

Unique et basé sur le… silence, le style musical de Ran Blake (un style où les accents du blues et du gospel, infléchis par des touches de bop et de free, se mélangent aux harmonies classiques) le verra développer un répertoire de compositions originales, de standards, de musiques de films -avec un penchant marqué pour le film noir et son atmosphère délétère. C’est en Europe que la démarche musicale et le format instrumental préféré de Blake (solo ou duo) trouveront le meilleur accueil discographique, notamment chez les Italiens de Soul Note. Le label milanais publiera en effet, entre 1981 et 1999, sept albums dans lesquels le musicien livre le meilleur de lui-même à travers des disques en solo comme Duke’s Dream (où il revisite Ellington), Epistrophy (Monk, ses compositions mais aussi, plus largement, son répertoire à travers une forme d’identification avec son aîné dont il est en quelque sorte la version « blanche »), Suffield Gothic (avec Houston Person et son sax pour quelques titres), en duo avec Improvisations (il s’y confronte à un autre pianiste, le grand Jacky Byard, pour une savoureuse opposition de styles), Unmarked Van (hommage à Sarah Vaughan sur lequel joue le batteur Tiziano Tononi) et Indian Winter (une célébration en compagnie du guitariste David Fabris de ses films, réalisateurs et acteurs préférés, dominée par un formidable medley hitchcockien).

Reste l’un des rares enregistrements que le pianiste ait faits en quartette (avec deux de ses élèves à la rythmique et le saxophoniste Ricky Ford): Short Life of Barbara Monk, son chef-d’oeuvre à ce jour, composé d’originaux et de standards (Cole Porter mais aussi Mikis Theodorakis), voit Blake s’interroger sur la mort et questionner le suicide.

(1) TERME CRÉÉ EN 1957 PAR SCHULLER POUR QUALIFIER UNE FORME MUSICALE À ÉGALE DISTANCE DU JAZZ ET DE LA MUSIQUE CLASSIQUE DU XXE SIÈCLE (DEBUSSY, RAVEL, BARTÓK).

PHILIPPE ELHEM

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