L’AUTEUR LILLOIS RENOUE AVEC LE DÉLIRANT JÉRÔME MOUCHEROT. UN HUMOUR FANTAISISTE ET ARISTOCRATE, QU’IL REVENDIQUE COMME TEL.

Sur sa table de travail, pendant que François Boucq finalise une mise en couleurs sur son ordinateur, trônent presque nonchalamment les planches du dernier et prochain Bouncer. Série à succès écrite par Jodorowsky, western métaphysique bourré d’action et de grands balèzes… Du pain bénit pour le trait virtuose et fouillé du Français, proche d’un style réaliste qui pourrait lui assurer succès de foule sur succès de foule. Et pourtant, on vient le voir à Lille pour une toute autre actualité: celle de Jérôme Moucherot, son agent d’assurances petit, bedonnant, franchouillard et très, très éloigné des habituels héros de BD, à qui François Boucq vient d’offrir un nouvel album, et un nouvel éditeur -Le Lombard a racheté les quatre premiers albums publiés chez Casterman, et réédite le tout à l’occasion de ce cinquième opus, en forme de préambule, Le Manifeste du mâle dominant (lire critique page 40).  » C’est une sorte de mode d’emploi du personnage. Presque un numéro zéro. Qu’est-ce que c’est que ce gars? Comment fonctionnent les albums précédents? Ce devait être un 46 pages classique, mais petit à petit, j’ai rajouté des pages, des gags, des digressions… Il en fait finalement 88. »

Quatre-vingt-huit pages de délires visuels et scénaristiques sans doute plus difficiles à vendre que les aventures du « Bouncer » ou du « Janitor », mais au plus près, aussi, de l’idée, haute, que se fait François Boucq de l’humour et de la bande dessinée -pour rappel, Jérôme Moucherot évolue dans une ville-jungle entouré d’habitants qui ne cachent rien de leur bestialité, porte une veste en peau de tigre encore rugissant et un stylo dans le nez, et compte Leonard De Vinci comme voisin du dessus:  » La spécificité de la BD, c’est que tout, absolument tout, y est possible. On peut tout y faire admettre. C’est cette écriture-là que j’aime, s’offrir un terrain de récréation pure, faire admettre l’inadmissible. Une bonne BD est quelque chose qui ne peut être raconté qu’en BD, qui développe des choses qui lui appartiennent en propre. Ce personnage-là en fait partie: s’emparer du personnage le plus banal du monde, et pulvériser cette banalité, lui donner une nouvelle amplitude. Il y a tellement de BD qui racontent aujourd’hui le quotidien des mecs, c’est incroyable! On a la possibilité avec la bande dessinée d’aller dans des espaces inouïs, mais on l’enferme dans le quotidien, l’autobio, des trucs qui ne décollent pas. Or avec la BD, on peut décoller. Y compris dans l’humour.  »

Ce mélange, rare, de virtuosité graphique et d’humour délirant, de réalisme et d’absurde, François Boucq en a fait sa marque de fabrique depuis ses débuts il y a plus de 30 ans. D’abord comme dessinateur de presse, ensuite dans Pilote, Fluide Glacial ou (A Suivre), où Jérôme Moucherot est né.  » Mes références sont nombreuses: Gotlib, Kurtzman, Alexis, Goosssens, le MAD magazine des années 50, 60, les Monthy Python… Dans l’humour surréaliste, il y a aussi quelque chose de plus froid, de plus décalé. De plus viscéral: comme une nécessité de rire. Ce n’est pas seulement une distraction, il y a un vrai besoin de faire de l’humour. Dans un monde qui ne veut plus parler de la mort, de la religion, de la sexualité, qui ne veut plus un humour fantaisiste, ce sont des £uvres de salubrité publique, des oasis. Quand je fais un « Moucherot » ou Les Aventures de la Mort et de Lao-Tseu , je le fais pour moi, comme principe purgatif, mais je le fais aussi pour que ça puisse encore avoir droit de cité. « 

Ambitions aristocratiques

Une nécessité de rire, donc, mais aussi de le faire bien.  » Dans l’humour, le dessin est de moins en moins ambitieux, et de plus en plus rudimentaire, juste ce qu’il faut. Mais à une époque, qui remonte à Ronald Searle, que je cite souvent, il y avait de l’ambition dans le dessin d’humour, une volonté de crédibiliser le gag par un « beau » dessin. L’élégance, la virtuosité sont devenues des valeurs négligeables dans le gag, mais aussi dans l’art contemporain. Or moi j’essaie d’aller vers ces valeurs aristocratiques, vers des dessins qui ont une haute opinion de leur medium, qui mettent des valeurs graphiques en avant. C’est aussi considérer la chose que l’on va dessiner. Regardez Franquin, regardez le soin avec lequel il traite ses personnages, mais aussi une voiture, un robinet, le moindre détail! Je revendique ce genre de filiation. » Cette année, François Boucq fera atterrir trois projets -en plus d’un sixième Moucherot s’il a le temps: des nouveaux épisodes de Bouncer et du Janitor, mais aussi un album de… Superdupont, que Gotlib lui a cette fois demandé de dessiner. « J’aurais pu ne pas accepter, mais quand même… » l

RENCONTRE OLIVIER VAN VAERENBERGH À LILLE

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