DÉCOUVREUR DE CAROLE KING, ORGANISATEUR DU FESTIVAL DE MONTEREY, PROPRIO DU ROXY ET PRODUCTEUR DE THE ROCKY HORROR PICTURE SHOW, LOU ADLER INCARNE LE MYTHE DU BUSINESS AMÉRICAIN, DOLLARS COMPRIS.

La Pacific Coast highway serpente à la sortie nord de Los Angeles, jusqu’à l’endroit où l’océan embrasse pratiquement les montagnes qui filent vers l’arrière de la Californie. On peut imaginer plus moche et moins showbizz. En montant une petite route qui file dans les collines, on arrive au bureau de Lou Adler, vaste villa de plain-pied. Sa maison perso, d’égales proportions, est en contrefort, près des vagues, à 200 mètres de là. Malibu, c’est le Neuilly de L.A., la mer en plus. Dans le living où l’on pénètre il y a quelques années pour rencontrer Mr Adler à l’occasion d’un doc TV, on note les meubles de collection, un peu précieux, un peu show off, comme ce fauteuil à jambes de femmes. Et puis l’homme d’affaires qui nous reçoit en capitaine de yacht monégasque, n’est pas mal non plus: béret retourné, lunettes de protection fines, pantalons de golf et mocassins. Aussi décoratif que l’environnement. Où l’on coche plusieurs tableaux originaux de Guy Peellaert, tirés de Rock Dreams, livre à succès du dessinateur/peintre belge publié en 1973. L’une des images représente Jan & Dean, pionniers de la surf music qui incarnent, juste avant le règne des Beach Boys, la quintessence du cool californien sixties. « Regardez, sur l’image de Peellaert, entre Jan & Dean, que j’ai produits, c’est Shelley Fabares, que j’avais mariée en 1964. » Lou connait tout le monde.

Adler organise l’expo Peellaert en 1974, dans son propre club, le Roxy, sur Sunset Boulevard, bout de mythe californien et miroir des personnages typiquement peellaertiens, c’est-à-dire englués dans une gloire qui leur échappe fatalement. Le Roxy est un ancien strip-bar qu’Adler, juste pour donner sa température, monte alors avec quelques légumes du tout business angelo comme David Geffen (futur fondateur de DreamWorks) et Elliott Roberts (manager de Neil Young). C’est d’ailleurs Young qui inaugure le lieu en 1974 suivi quelques temps plus tard par Peter Gabriel qui vient alors de rompre avec Genesis. Le genre d’endroit où l’on coche autant les célébrités dans le public -Lennon période lost weekends- que parmi les futures super-stars, comme Marley et Springsteen, profitant de l’intimité acoustique de l’endroit, 500 places. Plus tard, le Roxy sera aussi le rendez-vous d’une fameuse Madame d’Hollywood, Heidi Fleiss, devenue célèbre pour ses exploits de mère maquerelle, notamment dans le milieu du cinéma. En fait, la vie d’Adler, c’est ça: découvreur de comètes célèbres, et parfois aussi d’étoiles filantes dans un bassin à requins. Avec cette distinction américaine qui floute volontiers réel et fiction: lorsqu’en 1976 Adler et son assistant perso sont kidnappés, on pourrait croire à un coup de pub. Il n’en est rien: une rançon de 25 000 dollars permet leur libération et, in fine, deux suspects sont arrêtés, l’un d’eux étant condamné à perpète. On ne prête donc pas qu’aux riches.

Caisse-enregistreuse

Né en 1933 à Chicago dans une famille judéo-mexicaine, Adler vient à Los Angeles pour y étudier le journalisme, après avoir triché sur un diplôme de lycée jamais décroché. Fin des années 50: avec son copain de classe Herp Albert -futur millionnaire du jazz-latin lounge-, il se fait embaucher comme A&R (1) dans un petit label qui s’occupe, entre autres, de Sam Cooke, futur géant de la soul. Ils écrivent ensemble des chansons, puis Adler tombe sur Jan Barry, qu’il débauche pour former avec Dean Torrence l’un des succès monstres des sixties sur le point de débarquer, Jan & Dean. Adler n’est pas seulement A&R et producteur, il se lance aussi dans le management: ces activités et d’autres, comme l’édition et la création de labels de disques, intégrent naturellement une vie polymorphe. Des noms aujourd’hui négligés, comme ceux de Johnny Rivers, Barry McGuire ou Scott McKenzie -et ses cinq millions de copies vendues de San Francisco à l’été 1967- nourrissent grandement son compte en banque. Via sa compagnie Dunhill Records, Adler signe The Mamas & The Papas, quatuor folk-rock qui, de 1966 à 1971, va vendre 40 millions de disques, et incarner l’apparente dolce vita californienne. A l’exception du dernier album, Adler produit artistiquement leurs disques comme il en gère l’édition: d’où le montant de sa fortune actuelle, évaluée à 100 millions de dollars. Particularité nord-américaine: on ne sépare pas la réussite artistique du fric, le grain sonore de l’ivresse de la caisse-enregistreuse. C’est ce principe qui vaut l’investissement d’Adler dans le Monterey Pop Festival de juin 1967, révélant au public mondial -via un doc diffusé au cinéma et à la télévision- Janis Joplin, Jimi Hendrix et Otis Redding. Pas mal pour un banquier.

Après avoir revendu son label Dunhill Records -pour 3 millions de dollars en 1967-, Lou en crée logiquement un autre, Ode Records. Il y embauche une chanteuse-compositrice new-yorkaise qui jusque-là, écrit des succès pour autrui, Carole King. Son deuxième album, Tapestry, sorti début 1971, qu’Adler produit aussi artistiquement, devient la BO cosy-sentimentale de l’Amérique du début seventies et l’un des disques les plus vendus de l’Histoire rock: 25 millions de copies. Au-delà de ces statistiques un peu écrasantes, il faut bien se dire que ce mec a la truffe commerciale mais pas seulement. Que ce soit via un film burlesque sur des fumeurs de pétards qu’il réalise –Up In Smoke en 1978- ou la production aux Etats-Unis d’une comédie anglaise à forte connotation travestie, The Rocky Horror Picture Show. Lou Adler a été intronisé au Rock & Roll Hall Of Fame en 2013. A l’âge de 80 ans. Et si vous voulez le croiser avec son copain vintage, Jack Nicholson, il est conseillé de prendre un ticket au premier rang des matchs des Lakers. Vous le reconnaitrez facilement: il ressemble à Leonard Cohen, la barbe blanche et le béret en supplément.

(1) ARTIST & REPERTOIRE, CHARGÉ AU SEIN DE LA COMPAGNIE DE DISQUES DE DÉBUSQUER LES NOUVEAUX TALENTS.

CHAQUE SEMAINE, COUP DE PROJECTEUR SUR UN CHERCHEUR D’OR MUSICAL.

TEXTE Philippe Cornet

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